Arrivé tardivement, le Covid-19 s’installe en Afrique. Le continent comptait samedi plus de 21 083 cas et 1056 morts recensés par le Centre pour contrôle et la prévention des maladies de l’Union africaine. Des chiffres qui, selon l’aveu même de son directeur John Nkengasong, ne disent pas tout. La capacité limitée de réaliser des tests à grande échelle ne permet pas d’avoir une photographie réaliste de la situation sur le terrain.

A vrai dire, personne n’ose de pronostics tant les mesures prises pour arrêter la contagion et soigner les malades font défaut. Les pays les plus touchés sont l’Egypte, le Maroc, le Cameroun et l’Afrique du Sud. Mais alors que cette dernière dispose de 1500 respirateurs artificiels mécaniques pour soigner les patients atteints des formes les plus aiguës de la maladie, dix pays africains n’en possèdent aucun.

Un marché commun en quarantaine

A présent, une chose est certaine. Quelle que soit l’ampleur du désastre humain annoncé, les dégâts économiques déjà colossaux ont de quoi plonger le continent dans une longue crise. Au début de l’année pourtant, l’optimisme était de mise et on parlait même de «terre d’avenir» en raison de ses richesses naturelles, de sa jeune et large population et de la montée en puissance d’une classe moyenne. Le 1er juillet prochain, le Marché commun africain allait devenir réalité, abolissant les frontières de 54 pays sur 55. Les échanges allaient exploser et, à terme, le produit intérieur brut (PIB) africain devait atteindre 3000 milliards de dollars, l’équivalent du PIB indien. Aujourd’hui, Covid-19 oblige, 44 pays se sont mis en quarantaine et sont coupés du monde.

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Tout, ou presque, est au point mort. La principale source de revenus – l’exportation des matières premières – s’est tarie à cause de la fermeture des frontières, de la paralysie des transports et surtout de la chute de la demande mondiale. Les pays africains producteurs de pétrole, à l’instar du plus peuplé d’entre eux, le Nigeria, pâtissent aussi de la chute des cours de l’or noir.

Le tourisme, un pilier économique en Afrique du Nord, en Afrique australe, mais aussi au Kenya ou en Tanzanie, est figé. La dévaluation de monnaies locales face aux principales devises mondiales alourdit les factures des importations ainsi que du service de la dette. Par exemple, il y a cinq ans, le dollar américain s’échangeait contre 1,94 dinar tunisien. Aujourd’hui, il en faut trois. La Tunisie a donc vu tous ses dus en dollars augmenter mécaniquement de plus de 50%. Par-dessus tout, des économies (Sénégal, Mali, Niger, Cameroun) qui comptent sur l’argent envoyé par des compatriotes à l’étranger, se voient privés d’une partie de cette manne. En réalité, c’est le contraire qui se produit ces jours. Selon le Fonds monétaire international (FMI), quelque 4,2 milliards de dollars ont quitté l’Afrique depuis fin février.

Peur des émeutes

A l’intérieur de pays où le secteur informel est le gagne-pain de millions de familles, tout est aussi à l’arrêt. A ce propos, plusieurs dirigeants, tout en insistant sur la nécessité du confinement pour contenir la contagion, mettent en doute leur propre capacité à faire respecter les consignes. Au Nigeria, au Kenya et au Bénin, les forces de l’ordre ont tiré sur la foule qui voulait reprendre ses activités de marchands ambulants. Sur le plan alimentaire, l’Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture a demandé vendredi l’ouverture des frontières pour pouvoir acheminer les vivres. Des organisations non gouvernementales mettent en garde contre des émeutes de la faim dans certaines parties du continent qui, malgré ses terres arables en grande quantité, ne connaît pas l’autosuffisance alimentaire.

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Globalement, le FMI prévoit une contraction de l’économie de l’Afrique subsaharienne de 1,6% en 2020, soit le pire résultat jamais enregistré, et un rebond à 4,1% l’année prochaine. Un rebond qui se matérialisera grâce aux aides internationales. «La priorité est d’accroître les dépenses publiques de santé afin de contenir l’épidémie», a plaidé jeudi Abebe Aemro Selassié, directeur du département Afrique du FMI.

Moratoire sur le service de la dette

Mercredi, le G20, le groupe des pays les plus riches de la planète, a convenu de suspendre le service de la dette d’une centaine de pays, dont une quarantaine en Afrique. L’annonce a été jugée comme insuffisante sur le continent, alors que certains dirigeants, à l’image du président français Emmanuel Macron, disent vouloir à terme une annulation de la dette. Le moratoire donnera un peu d’air aux économies africaines, mais guère davantage.

Le moratoire sur la dette des pays pauvres devrait «libérer 20 milliards de dollars», avait précisé mercredi le ministre des Finances saoudien Mohammed al-Jadaan à l’issue du G20. L’endettement total de l’Afrique est estimé à 365 milliards de dollars, dont environ un tiers dû à la Chine. A titre de comparaison, la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU estime que les gouvernements du continent auraient besoin de 100 milliards de dollars pour renforcer leurs systèmes de santé et de sécurité sociale.

Le FMI, l’un des grands créanciers en Afrique, propose aussi un simple moratoire ainsi que de nouveaux crédits. Il a estimé les besoins pour lutter contre le Covid-19 à 114 milliards de dollars. Ainsi, une centaine de pays, dont la plupart des pays africains, frappent à la porte de ce prêteur de dernier ressort, quitte à s’enfoncer encore plus dans l’endettement.

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