Croissance
Le continent africain est encore largement perçu comme une terre inhospitalière pour les investisseurs. En 2030, il apportera pourtant un travailleur sur deux à l’économie mondiale

L’Afrique est-elle le dernier continent low cost de la planète? «Oui, sans aucun doute possible», résume le milliardaire africain Mo Ibrahim, qui a fait fortune dans les télécommunications. Une réponse courte, mais qui en dit long sur la fin de l’âge d’or pour l’atelier du monde: la Chine.
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En effet, l’Empire du Milieu vieillit: sa compétitivité recule, les salaires prennent l’ascenseur et ses usines se vident. Alors que l’Afrique, elle, ne cesse de rajeunir. Sa classe moyenne naissante s’adosse à un taux de natalité censé porter le continent à 2,4 milliards d’individus, soit un quart de la population mondiale, contre actuellement environ 16%. «En 2030, la moitié de la croissance de la main-d’œuvre mondiale sera due au continent africain», rappelait la semaine passée Abebe Selassié. Le directeur du département africain du FMI était l’un des 1000 participants du Forum Africa CEO qui a réuni cette nouvelle génération d’entrepreneurs et de décideurs à Genève.
Dix fois moins cher qu’en Chine
Tractée par cette démographie et l’immensité de ses richesses extractives, l’Afrique se place en pôle position pour tirer parti du rééquilibrage de l’économie chinoise. A l’image de l’Ethiopie, l’économie la plus dynamique du continent, juste derrière l’Afrique du Sud, avec une croissance continue d’environ 10% depuis 2006. Obsédées par la réduction de leurs coûts, les usines occidentales et asiatiques y ont déjà élu domicile. Principal avantage: un salaire jusqu’à dix fois moins élevé – un peu plus de 50 francs par mois – qu’en Chine. Mais aussi des exemptions fiscales pour les sociétés étrangères qui décident de s’y installer, assorties de suppressions de droits de douane sur les machines et les matières premières importées.
L’Ethiopie est devenue le nouvel eldorado low cost des grandes marques textiles, H&M en tête. Addis-Abeba s’est en effet donné pour vocation de devenir le nouvel atelier industriel de la planète (confection textile, travail du cuir, électronique, etc.), passant ainsi d’une économie essentiellement agraire (75 millions d’hectares de terres arables disponibles, dont seuls 20% sont cultivés) à une puissance manufacturière exportatrice. Si pour l’heure le secteur industriel pèse moins de 10% du PIB éthiopien, il ne cesse de monter en puissance.
Sortir de la monoculture
La transition est récente pour le continent africain. Le port franc de Djibouti date de 1954 mais a longtemps peiné à convaincre les investisseurs. «Nos salaires étaient à l’époque trop élevés par rapport à ceux pratiqués en Asie. Mais l’élévation du niveau de vie dans ces pays nous a à nouveau rendus compétitifs sur la scène internationale», souligne Aboubaker Hadi, président depuis 2011 de l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti. Le pays essaie de se positionner comme une étape incontournable de la route de la soie en s’adressant aux investisseurs chinois – lors du forum Africa CEO – directement en mandarin.
La représentation de l’Afrique comme un continent exclusivement tourné vers l’exploitation de ressources naturelles a vécu, estime Abebe Selassié. «Sur 54 pays, seuls 18 ou 19 en dépendent pour une portion importante de leur économie. La Côte d’Ivoire ou le Sénégal croissent à plus de 6%, non-affectés par la fin du super-cycle des matières premières. La médiane des pays africains est à 3,7%», détaille le représentant du FMI.
Là où on se bat pour la classe moyenne
Parmi les nouveaux relais de croissance du continent: l’électronique. Le géant chinois des télécommunications, Huawei, souhaiterait produire certains composants, voire carrément des smartphones, directement sur le sol africain.
Mais les entreprises se battent aussi pour capter l’attention de la classe moyenne africaine. Facebook a fait du Nigeria et du Kenya – deux économies déjà fortement connectées – ses cibles privilégiées en y introduisant l’Internet à bas coût. L’arrivée du géant californien a provoqué une guerre des prix inédite sur ces marchés locaux, déjà fortement concurrentiels. A tel point qu’au Kenya, le recul des recettes du numéro un mondial du paiement mobile, Safaricom, vient d’atteindre un seuil critique.
L’industrie aéronautique n’est pas en reste, depuis que les compagnies à bas coûts se sont lancées à la conquête du ciel africain. En ligne de mire d’Emirates, Turkish Airlines et autres Air France: la classe moyenne émergente ou déjà établie au Maghreb, au Nigeria ou en Afrique du Sud. Ici aussi, l’Ethiopie pourrait servir de point d’ancrage. Addis-Abeba abrite en effet le plus grand hub aérien d’Afrique subsaharienne.
Non pas un marché, mais 54
Il faudra toutefois encore unifier ce marché d’un milliard de consommateurs, rappelle Saïd Ibrahimi, directeur de l’institut de promotion économique Casablanca Finance City Authority: contrairement à l’Europe ou au Brésil, «l’Afrique compte 54 marchés très fragmentés. Pour produire des entreprises locales, capables de rivaliser sur la scène internationale, il faudra abattre ses barrières et accélérer la régionalisation de l’économie.»
Et il reste du chemin à parcourir, selon Hans Peter Werder. Le fondateur de l’entreprise argovienne HPW, qui produit notamment des fruits secs, a installé en 2011 l’une de ses usines au Ghana. Il y emploie quelque 1000 personnes. L’une des grandes difficultés pour cet entrepreneur: attirer et conserver de la main-d’œuvre qualifiée dans une région rurale qui souffre d’un déficit d’infrastructures. «Quand nous sommes arrivés sur place, la disponibilité d’eau et d’électricité était insuffisante. Il a fallu construire nos propres systèmes. Au final, près de la moitié de l’investissement total de HPW a été destinée à l’approvisionnement d’énergie.» L’Afrique n’est pas encore un continent low cost pour tous les investisseurs.
Le potentiel africain est peu exploité par la Suisse
Les liens entre la Suisse et l’Afrique sont encore ténus: 11,3 milliards de francs en termes commerciaux et 13,5 d’investissements directs helvétiques ventilés dans quelques-uns des 54 pays du continent. Des volumes qui peuvent paraître importants. Pourtant, ils ne représentent respectivement que 2,2% des échanges internationaux et 1% des capitaux suisses injectés à l’étranger. Une paille.
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L’essentiel des exportations ou des importations helvétiques se concentre sur huit pays africains: l’Afrique du Sud (25%), le Ghana (12%), l’Egypte (9%), le Burkina Faso (9%), le Nigeria (6%) la Côte d'Ivoire (5%), ainsi que le Maroc et l’Ethiopie. Soit des marchés où la Suisse écoule surtout des produits chimiques et pharmaceutiques (50%), des machines (25%), des instruments de précision, des montres et de la joaillerie (10%). L’Afrique, elle, lui procure des métaux précieux et des ressources énergétiques (jusqu’à 90% des importations helvétiques), ainsi que des produits agricoles (10%).
Une présence physique somme toute modeste
L’Afrique du Sud capte à ce jour 16% des investissements suisses dans le continent, contre 14% pour l’Egypte, 4,5% pour le Nigeria, presque autant pour le Maroc, mais environ moitié moins en ce qui concerne le Kenya et la Côte d'Ivoire. Soit six pays, auquel on peut encore ajouter la Tunisie, qui accueillent les 71 000 salariés d’entreprises helvétiques présentes sur le territoire africain. «Ce chiffre ne correspond qu’à 3,5% de la main d’oeuvre employée par les firmes suisses hors des frontières du pays», nuance Michael Rheinegger, directeur général du Cercle d’affaires Suisse-Afrique (SABC).
On estime pour l’heure le nombre d’entreprises suisses actives en Afrique à 100 enseignes. «A eux seuls, les effectifs de Nestlé, de SGS et de quelques multinationales spécialisées dans les matières premières, cumulent environ 60 000 collaborateurs», relativise Michael Rheinegger. Cependant, 40% des 125 plus grandes sociétés helvétiques ont tissé des liens d’affaires avec l’Afrique. Tout comme 15 à 25% des PME du pays. «Le potentiel africain reste sous-exploité, conclut la cheville ouvrière du SABC. En particulier dans le secteur des services de téléphonie mobile, de la santé, de l’éducation, de l’ingénierie [ndlr: infrastructures, technologies vertes, énergies renouvelables, etc.], ainsi que du savoir-faire financier.» (D. N.)