Pourquoi l’Allemagne s’accroche au diesel
Industrie
En Allemagne, Bosch annonce vouloir sauver le diesel. Solution durable ou gain de temps? Trois ans après le «dieselgate» chez VW, constructeurs et acteurs politiques allemands continuent de miser sur cette technologie tout en se lançant dans la course aux voitures propres

Bosch peut-il sauver le diesel? C’est ce qu’espère le premier équipementier mondial. La semaine dernière, le groupe allemand a annoncé avoir mis au point une technologie permettant de réduire «drastiquement» les émissions d’oxydes d’azote (NOx).
Coïncidence, c’était justement pour réduire le taux officiel de ces particules fines que Volkswagen avait équipé 11 millions de véhicules de logiciels truqueurs, entraînant un scandale d’ampleur mondiale il y a trois ans. «La question des émissions d’oxydes d’azote ne sera bientôt plus un sujet de débat», veut croire Volkmar Denner. Le patron de Bosch estime dès lors qu’il est encore «possible de sauver le diesel». Pour cette entreprise, premier fournisseur mondial de moteurs diesel, l’enjeu est évidemment de taille. La section en question emploie d’ailleurs 50 000 salariés (sur 400 000 au total).
Ventes diesel plombées
Cette annonce suffira-t-elle toutefois à recréer la confiance auprès des consommateurs échaudés par le scandale? Ce, d’autant que le spectre de possibles interdictions de circulation pour les véhicules diesel dans certaines villes du pays, actuellement en discussion, afin de lutter contre la pollution plombe aussi les ventes. Au premier trimestre, outre-Rhin, seulement 31,4% des nouvelles immatriculations concernaient des véhicules diesel, contre 45% début 2017. Au niveau de la production, le diesel est aussi affaibli: sur les 5,65 millions de voitures sorties des usines allemandes l’an dernier, 2,35 millions étaient des moteurs diesel, soit une baisse de 12% sur un an.
Malgré cela, l’Allemagne continue de s’accrocher à cette technique inventée sur son sol et qui reste centrale pour son modèle économique. L’industrie automobile allemande représente 13% du produit intérieur brut allemand et 800 000 emplois directs. Mais quand elle s’enrhume, c’est tout le pays qui éternue: toute l’industrie nationale y est liée via la recherche et le développement.
Conséquences économiques
Selon le syndicat IG Metall, l’interdiction des véhicules diesel dans les centres urbains entraînerait la perte de 84 000 emplois locaux. Un cauchemar pour certaines régions dépendantes de l’industrie automobile, comme la Basse-Saxe, la Bavière et le Bade-Wurtemberg, sièges de Volkswagen, BMW et Mercedes. «Cela explique la réticence des acteurs politiques à légiférer», reconnaît Heinz-Rudolf Meissner, expert du secteur automobile.
Le nouveau gouvernement fédéral ne prévoit ainsi aucune interdiction des voitures diesel et plus largement des véhicules à moteurs thermiques, contrairement à la France et à la Grande-Bretagne. «Le diesel émet peu de gaz à effets de serre et reste une part de la solution si nous voulons atteindre nos objectifs climatiques», défend Heinz-Rudolf Meissner.
L’électromobilité à la peine
Les écologistes allemands, eux, estiment que le pays prend du retard dans le passage «inévitable» aux technologies vertes. Christian Rammer, du centre de recherche ZEW de Mannheim, juge ces craintes exagérées: «L’Allemagne n’est pas vraiment en retard en matière d’électromobilité, rectifie-t-il. Mais il est vrai qu’elle lui a donné moins d’importance jusqu’à présent parce qu’elle n’y voyait pas le développement d’un marché de masse.»
De fait, les ventes ne décollent pas dans le pays et le gouvernement a dû remiser au vestiaire son objectif d’atteindre le million de véhicules électriques d’ici à 2020. Les constructeurs allemands restent par ailleurs en retrait en matière de ventes au niveau mondial, derrière le chinois BAIC, l’alliance Renault-Nissan ou Tesla.
Pour ne pas rater le coche, ils se sont lancé des objectifs ambitieux: Volkswagen a ainsi annoncé en novembre dernier vouloir devenir le numéro un des véhicules électriques d’ici à 2025. Le groupe prévoit d’investir 34 milliards d’euros d’ici à 2022 dans l’électromobilité, la numérisation et les véhicules autonomes. Le but est notamment de se positionner en Chine où le gouvernement va imposer dès 2019 des quotas de vente de véhicules électriques.
Mais la concurrence de sociétés venues de la Silicon Valley, comme Tesla et Google, reste un sujet de craintes. «Elles ne souhaitent pas entrer dans la production de masse mais veulent prendre le contrôle des données des clients, au détriment des constructeurs traditionnels», reconnaît Heinz-Rudolf Meissner.
Manque de stratégie globale
Ce virage de l’industrie allemande sera-t-il assez rapide? Les opinions divergent sur le sujet. «Les constructeurs allemands règnent sur le marché du haut de gamme et vont continuer à le faire, croit Christian Rammer, du centre de recherche ZEW. Fabriquer des voitures reste un processus très complexe et très peu de nouveaux acteurs parviennent à s’imposer.»
Heinz-Rudolf Meissner, qui réalise des expertises pour le syndicat IG Metall, se montre plus sceptique. «Le scandale du dieselgate a accéléré les efforts de l’Allemagne en matière d’électromobilité, mais au-delà des initiatives entrepreneuriales il manque en Allemagne une stratégie globale pour accompagner cette révolution technologique qui menace le secteur dans son ensemble.»
En attendant, les constructeurs allemands continuent de régner. Malgré la débâcle du dieselgate, leurs ventes continuent de croître, à commencer par celles de Volkswagen par qui, pourtant, le scandale est arrivé.