L’alliance «Pour un droit voisin» veut mettre un terme au «vide juridique» dans le droit d’auteur en Suisse. Cette situation permet aux plateformes internationales comme Google, Microsoft ou Meta d’exploiter les contenus des entreprises de médias à leur propre profit sans avoir à verser une rémunération, a-t-elle écrit mercredi 24 mai, dans la foulée de la présentation du projet par le Conseil fédéral.

Cette coalition est composée de représentants de tous les partis, des principales associations du monde des médias, de l’association professionnelle des journalistes (Impressum), de l’association des professionnels de la création culturelle (suisseculture) ou encore de la SSR. L’agence de presse Keystone-ATS est également associée.

L’alliance, qui a à cœur de «préserver la vitalité de la place médiatique suisse», salue en particulier le fait que le projet du Conseil fédéral prévoit que les montants perçus profitent également aux journalistes eux-mêmes ainsi qu’aux petites entreprises de médias.

Chatbots aussi visés

Pour la coalition, la Suisse doit suivre le mouvement européen, plusieurs pays ayant adopté une telle législation. «La Suisse ne peut faire exception, car cela signifierait que la propriété intellectuelle serait moins bien protégée sur notre territoire que dans les pays voisins», fait-elle valoir.

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Celle-ci ajoute que la législation suisse doit tenir compte des nouveaux développements, en particulier dans le domaine de l’Intelligence artificielle. «Les chatbots comme ChatGPT puisent également dans les contenus journalistiques pour les intégrer dans leurs prestations», souligne la coalition.

Dans une prise de position séparée, la faîtière des éditeurs romands Médias Suisses précise que le droit voisin s’appliquera aux extraits d’articles, dits «snippets», mais non à la reproduction de simples liens hypertextes. «La liberté sur Internet ne sera en aucun cas remise en question», affirme Médias Suisses.

Médias «mainstream» favorisés

Le droit voisin ne fait d’ores et déjà pas l’unanimité. L’association des Médias d’Avenir (AMA), représentant 25 médias indépendants des groupes de presse, comme la Wochenzeitung (Woz), Republik, Haupstadt, Sept. Info ou encore l’association Médias pour tous, tire à boulets rouges contre le projet du Conseil fédéral.

Le droit voisin, vu par certains comme le «seul espoir» pour le secteur des médias, empêche en fait un vrai débat sur les mesures qui seraient nécessaires pour venir en aide aux médias, surtout après le rejet en février 2022 par le peuple d’un vaste paquet de soutien, critique l’association.

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De manière générale, les médias profitent fortement des plateformes comme Google, qui sont d’importants générateurs d’audience. Cette «taxe sur les liens», selon les termes de l’AMA, contrevient aussi à un principe clé du web: la liberté de publier des liens hypertextes.

Le droit voisin va aussi créer des incitations discutables. Ce sont plutôt les marques «mainstream» et la couverture médiatique de boulevard qui seront récompensées. Pour l’AMA, il y a le risque que les grands groupes soient favorisés par rapport aux petits médias.

L’Association des entreprises du numérique (Swico) s’offusque de son côté de la volonté du Conseil fédéral de répercuter sur les privés l’aide aux médias, balayée l’année dernière par le peuple. Elle conteste aussi le fait que le gouvernement profite de ce projet pour réglementer la question de l’IA.

Google sur la réserve

Google est resté réservé. Dans une déclaration générale, un porte-parole du groupe en Suisse a écrit que «la digitalisation offre aux médias et au journalisme de nombreuses nouvelles occasions. Avec ses services, Google permet d’atteindre et de générer des revenus pour les éditeurs.» Le groupe précise qu’il va examiner en détail la proposition de loi et «participera au débat.»

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Une étude du cabinet FehrAdvice, mandatée par l’association des éditeurs alémaniques Schweizer Medien (VSM), a chiffré à 154 millions de francs par an le montant que Google devrait verser en Suisse. Le groupe américain a contesté cette analyse.