Le premier grand succès eut lieu pendant l’ère Meiji (1868-1912) lorsque le Japon, jadis un empire féodal isolé, en l’espace de quelques décennies est devenu une grande puissance industrielle et impériale; à l’époque, un cas unique d’une nation orientale parmi les puissances occidentales. Pendant longtemps, les spécialistes débattaient de savoir s’il s’agissait principalement de «modernisation» ou «d’occidentalisation». En fait il s’agissait des deux. Le Japon a beaucoup emprunté à l’Occident et s’est allié avec la plus grande puissance du monde, la Grande-Bretagne (1902-1922), tout en gardant certaines de ses traditions issues du shintoïsme, ainsi que du bouddhisme et du confucianisme empruntés des siècles auparavant à la Chine.

Lire aussi: Croissance, quand la Chine s'arrêtera

Le grand échec était sa défaite dans la Seconde Guerre mondiale – ou, comme on a plutôt tendance à dire en Asie, la guerre du Pacifique. Dans les années trente, la politique japonaise tourna au militarisme, au culte de l’empereur et à l’expansion impérialiste. Le Japon envahit la Chine en 1937 et peu après s’allia avec l’Allemagne nazie et l’Italie de Mussolini. Puis en bombardant Pearl Harbor, il entra en guerre avec les Etats-Unis. Le Japon se battit contre la Chine, contre l’Empire britannique, contre les Etats-Unis et envahit, en dehors de la Chine, Hongkong, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Birmanie et les Philippines; l’Indochine continua à être administrée par l’administration coloniale française mandatée par le gouvernement de Tokyo; la Thaïlande, seul pays non colonisé de l’Asie du Sud-Est, resta neutre. La Corée et Taïwan étaient devenus des colonies japonaises respectivement en 1910 et 1895. En septembre 1945, le Japon dut capituler. C’était le grand échec de l’Empire du Soleil levant.

Le Japon reste «l’homme malade» de l’économie globale

Mais les conséquences de l’échec au niveau des représailles furent de très courte durée. «Grâce» à la Guerre froide, à la victoire de Mao Tsé-toung en Chine, et à la guerre de Corée (1950-1953), le Japon, ex-ennemi des Etats-Unis, devint son protégé. A la suite de l’aide et de la protection américaines et des réformes domestiques, dans l’agriculture comme dans l’industrie, le deuxième grand succès du Japon de l’époque moderne fut la croissance économique fulgurante que connut le pays dans les années cinquante et soixante, dépassant l’Allemagne de l’Ouest en PIB dès 1967. On l’appela le miracle économique japonais.
Aujourd’hui le Japon connaît deux grands défis. Comment relancer le dynamisme économique alors que ce dernier quart de siècle s’est traduit par ce qu’on a appelé ses «décennies perdues», et ceci dans un contexte démographique du vieillissement et de la diminution de la population? Le Japon, pour le moment, reste «l’homme malade» de l’économie globale.

Deuxièmement, depuis plus d’un siècle et demi, le monde, y compris l’Asie, a été dominé par les puissances occidentales. Depuis plus d’un siècle et demi le Japon s’est allié aux puissances impérialistes occidentales: la Grande-Bretagne, puis l’Allemagne nazie, puis les Etats Unis. Pendant la Guerre froide, quand on parlait de «l’Occident», on incluait le Japon. Or, depuis une vingtaine d’années, nous sommes témoins d’une renaissance de l’Asie orientale, en particulier de la Chine que le Japon avait envahie à plusieurs reprises à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, laissant des milliers de morts, de torturés, et de femmes violées. Le «succès» du Japon riche contrastait avec la «faillite» de la Chine pauvre.

L'économie japonaise fortement dépendante de la Chine

Depuis le début de ce siècle, la Chine a dépassé le Japon en PIB et est devenue un acteur principal sur la scène globale. Elle a connu une croissance aussi fulgurante, sinon encore plus fulgurante que connut le Japon lors de son miracle économique. Aujourd’hui, l’économie japonaise dépend beaucoup de la Chine, alors que les relations politiques, géopolitiques, et émotionnelles restent tendues, voire hostiles. La relation Chine-Japon est une des plus tendues et potentiellement explosive. La troisième guerre mondiale éclatera-t-elle à la suite d’incidents/accidents survenus autour des îles contestées, Diaoyu en chinois, Senkaku en japonais, dans la mer d’Asie de l’Est?

Comment le Japon va-t-il faire face à ces défis? Le pays saura-t-il prendre les mesures nécessaires d’ajustement pour à la fois redynamiser l’économie et réussir son intégration dans l’ère du Pacifique: de se «dé-occidentaliser» et de se «ré-orientaliser»? Si le Japon n’obtient pas de succès devant ces défis, mais échoue, quelles seront les conséquences? C’est une question primordiale, en fait brûlante, non seulement pour le Japon et ses voisins, mais pour toute l’Asie et même la planète entière.