L’industrie aéronautique est, dit-on, un excellent baromètre de l’économie. Quand les temps sont difficiles, les voyageurs de la classe affaires passent à la classe économique. Ceux qui volent en jets privés optent alors pour des vols de ligne. Et vice versa.

Pure théorie? «Il existe une forte corrélation entre l’évolution du produit intérieur brut et l’aviation d’affaires. Avec un effet démultiplicateur de deux, voire trois points de croissance des mouvements de jets, pour chaque progression de la richesse d’une région», signale Fabio Gamba, responsable de l’Association européenne EBAA, organisatrice du Salon Ebace à Genève. Ce rendez-vous annuel de l’aéronautique privée, reconnu comme la plus importante vitrine du genre en Europe, ouvre ses portes ce mardi, durant trois jours. L’occasion pour les quelque 500 exposants – constructeurs, sociétés de services, etc. – conviés de parler finances, sécurité, maintenance et officialiser publiquement de juteux contrats d’achat d’avions. Quelque 13 000 professionnels du secteur sont attendus pour l’occasion.

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L’économie européenne n’est toujours pas au mieux de sa forme. La cuvée 2016 d’Ebace s’annonce donc plutôt humble. «Ce devrait être un Salon correct, dans le sillage de la précédente édition», confirme Marine Eugene, directrice des ventes Europe chez NetJets, le numéro un mondial du jet en copropriété, avec un catalogue de plus de 700 appareils, dont le renouvellement a déjà été amorcé pour plus de 17 milliards de dollars.

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Le prix de l’euphorie

La responsable auprès de la compagnie appartenant au milliardaire Warren Buffett et qui présente ce mardi à Genève son nouveau Cessna Citation Latitude dont la livraison est prévue cet automne, rappelle que le coup de frein d’il y a environ huit ans a été particulièrement sévère. Le phénomène s’est vu amplifié par l’emballement exagéré qu’a connu l’industrie au tournant du XXIe siècle, les constructeurs, les équipementiers et autres vendeurs n’ayant pas considéré les éléments tangibles d’un marché forcément limité. «De nombreux opérateurs ont disparu», déplore celle qui a vu ses ventes fondre de 25% avec la crise, mais qui se sont rattrapées depuis, sans toutefois retrouver leurs niveaux historiques.

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Parmi les disqualifiés du marché: ceux qui, en Suisse et en Autriche, par exemple, avaient parié gros – alignant leur flotte avec des appareils de grande taille, en réponse au climat peu réjouissant et de contrôle des coûts un peu partout en Europe – sur la clientèle russe, un public connu à l’époque pour ne pas regarder à la dépense.

En termes de mouvements de jets, les trois premiers mois de cette année se sont inscrits en territoire négatif. «Il ne faut pas y voir un chant du cygne de l’industrie en Europe, mais le reflet du cycle défavorable entamé depuis 2009», prévient Fabio Gamba. Et Eymeric Segard, fondateur de LunaJets, société genevoise de courtage d’avions privés spécialisée dans la mise à profit des vols à vide, de préciser: «A cette période d’incertitude économique, s’ajoute le problème terroriste, auquel il faut en partie attribuer le déclin de ce premier trimestre.»

Prédominance américaine

Si le passage à vide est marqué depuis environ huit ans en Europe, la vitalité semble en revanche à nouveau de mise aux Etats-Unis, qui a presque repris sa taille d’avant 2008 et où la flotte d’appareils privés est supposée doubler d’ici à 2034, à 22 000 appareils. «En nombre d’avions vendus, ce pays représente déjà quelque 50% de part de marché mondiale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la quasi-totalité des appareils y sont fabriqués, modèles européens compris», relève Fabio Gamba.

Assez loin derrière, se trouve l’Europe – région arrivée depuis à maturité et qui se tourne à présent essentiellement vers le remplacement d’appareils –, avec quelque 18% du marché, juste devant l’Amérique latine (environ 15%), ayant longtemps connu une croissance très rapide, mais qui en raison des difficultés actuelles en Argentine et au Brésil ne devrait pas rattraper le Vieux Continent d’aussitôt.

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La Chine, dont l’économie connaît un fort ralentissement? «Il faut encore attendre avant d’en connaître le véritable potentiel», estime Fabio Gamba. L’aviation d’affaires est un secteur d’activité exigeant une certaine souplesse, qui ne s’accommode pas très bien des pratiques d’un Etat hypercentralisé et les contrecoups d’une vaste campagne anti-corruption. «Si Pékin modifie ses usages, alors nous verrons des chiffres de croissance jusqu’alors inconnus de l’industrie», prévient Fabio Gamba.

Fort potentiel africain

D’après lui, l’Afrique (4 à 5% de part de marché mondiale) est aussi un débouché très intéressant. «Car ce continent, énorme par sa taille, manque encore cruellement d’infrastructures routières et de trains», précise-t-il.

Pour l’heure, marché témoigne aussi d’une timidité accrue de la clientèle moyen-orientale, en raison de la chute des prix du pétrole. «Mais nous observons un rattrapage de la région grâce à la Turquie et à Israël», pondère Marine Eugene, faisant également état d’une reprise en Espagne, d’une croissance dans les pays scandinaves, ainsi que d’une stabilité, voire d’un léger regain d’activité en Grande-Bretagne et en Allemagne, notamment.