La crise que nous vivons aura t-elle un impact sur le défi climatique? Nouvelles mobilités, transport aérien, décisions politiques, «Le Temps» propose entre lundi et mardi une série d’articles consacrée aux conséquences de la pandémie:

Les pertes pour l’aviation sont colossales et elles ne cessent de se creuser. En cause, les fermetures de frontières et restrictions de voyage imposées pour lutter contre la pandémie de coronavirus. L’Association internationale du transport aérien (IATA) chiffrait mardi dernier les dégâts à plus de 314 milliards de dollars pour les compagnies. Une moitié d’entre elles est menacée de faillite, avertissait fin mars déjà dans le Temps son directeur général Alexandre de Juniac, appelant à une aide étatique.

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Infrastructure cruciale en termes de mobilité et d’échanges commerciaux, les gouvernements ont tour à tour annoncé des mesures de soutien au secteur. Notamment les Etats-Unis, qui le subventionneront à hauteur de 25 milliards de dollars pour sauver les quelque 750 000 emplois qui en dépendent directement. En Suisse, le Conseil fédéral a annoncé début avril un soutien, sans en préciser les contours. L’aviation contribue à hauteur de 30 milliards de francs par an de valeur ajoutée à l’économie helvétique et génère 190 000 emplois (directs et indirects), tandis qu’un tiers des produits exportés le sont par la voie des airs.

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Un cinquième des émissions

Or, l’aviation compte aussi pour un cinquième des émissions totales de gaz à effet de serre du pays. Et s’il est difficile de mesurer précisément les effets du gel actuel du trafic aérien sur la qualité de l’air, «il est sans conteste perceptible», avance Gregory Giuliani, chercheur en sciences de l’environnement à l’Université de Genève. «Le composant qui montre clairement une décrue est le dioxyde d’azote qui constitue le polluant majeur de l’atmosphère terrestre. Il est entre autres produit par les moteurs à combustion interne et les usines thermiques», ajoute-t-il.

D’où des appels de tous bords à conditionner les soutiens gouvernementaux par des contreparties environnementales, à l’instar de ce qu’envisage l’Autriche pour sa compagnie historique. «Ces gages prendraient la forme d’objectifs à moyen terme», suggère Frédéric Potelle, de la banque Bordier & Cie, spécialiste des thématiques énergétiques. «Comme on l’a demandé aux banques après leur sauvetage en 2008 en exigeant un renforcement de leurs fonds propres», renchérit la conseillère aux Etats verte Lisa Mazzone. Notamment en taxant le kérosène (seul combustible fossile à y échapper) et utiliser ces recettes pour subventionner le rail, propose la conseillère aux Etats genevoise.

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Réduire le nombre de «slots»

D’autres évoquent la possibilité de coupler l’aide avec l’exigence d’une réduction des slots (autorisations d’atterrissage et de décollage), suggère Philippe Thalmann, économiste à l’EPFL. «C’est le moyen le plus efficace de réduire durablement les nuisances des avions. En plus, cela ne pénalise pas forcément les compagnies, puisque moins de slots signifie moins de concurrence», ajoute-t-il.

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Du côté des compagnies, on affirme poursuivre les efforts, en remplaçant progressivement la flotte par des appareils moins gourmands en carburant, indiquent au Temps Swiss et EasyJet, les deux principales sociétés opérant en Suisse. Elles rappellent en outre que la reprise des vols se fera de manière «progressive». Au niveau mondial, le trafic ne devrait retrouver son niveau de 2019 que dans trois ans et sa trajectoire d’avant-crise d’ici à dix ans, estime le cabinet de conseil Archery Consulting. De quoi décaler les prévisions de croissance globale de trafic – l’IATA tablait jusque-là sur un doublement du nombre de passagers d’ici à 2037 à plus de 8 milliards, 16 milliards en 2050.

Le Conseil fédéral devrait délivrer un message dans les jours qui viennent, sans doute sous forme de loi plutôt qu’une ordonnance, ce qui permettra au parlement de débattre sur sa teneur. Preuves à l’appui, espère Gregory Giuliani, qui a récemment lancé un projet avec son équipe et des chercheurs de l’Institut de santé globale étudiant les effets de la pollution sur la santé, pour analyser les effets du coronavirus sur ces deux domaines. Les premiers résultats doivent être présentés d’ici à quelques semaines.

Juste une bouffée d’air

Quoi qu’il en soit, des actions devront être coordonnées au niveau mondial, estiment les observateurs. Les mesures de confinement devraient se traduire par une baisse globale de 5,5% des émissions de CO2, par rapport à 2019, calcule Carbon Brief. Or, pour parvenir à l’objectif fixé par l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à 1,5 degré par rapport à l’ère préindustrielle, il faudrait les diminuer de 7,6% chaque année pendant la prochaine décennie, ajoute l’ONG britannique. «Cette crise est un révélateur de l’enjeu sociétal, politique et économique à relever», conclut Frédéric Potelle.