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L'avis de l'expert. Les gestionnaires des caisses de pension sont confrontés à des attentes exagérément élevées

La multiplication des objectifs et l'expression de désirs souvent contradictoires accroissent la complexité de la gestion des fonds de pension

On a pu lire il y a peu dans la presse des articles qui révèlent que l'une des plus grandes caisses de pension du secteur public, domiciliée dans la région zurichoise, a fait procéder à la liquidation d'une société de participations dans laquelle elle avait préalablement investi 15 millions. La perte nette qui en a résulté pour elle s'élève à 10 millions, la proportion est équivalente pour les autres institutions de retraite qui l'avaient suivie. Que cette déconfiture ait été le résultat des manquements, montages financiers, combinaisons ou autres malversations du management de l'entreprise, c'est l'évidence. Mais ce cas met crûment en lumière quelques vérités négligées.

En premier lieu, l'extraordinaire complexité et les nombreuses chausse-trappes d'une gestion diversifiée de la fortune des caisses de retraite, dans un environnement économique et financier de plus en plus volatil; ensuite, la multiplicité des exigences légales ou des aspirations contradictoires des membres de la communauté des intérêts et des risques (employeur, salariés, retraités); enfin, les lourdes exigences que cet environnement font peser sur l'organisation, le fonctionnement et le contrôle des institutions de prévoyance.

Quels miracles n'espère-t-on pas des placements des caisses de pension! Elles devraient favoriser la création et le développement de nouvelles entreprises en Suisse même - de préférence dans la région ou le canton de domicile de la caisse – en effectuant des placements en capital risque ou en private equity, et mettre des ressources à disposition de petites ou très petites entreprises en se substituant partiellement aux banques.

L'investissement dans le secteur immobilier, sous la forme d'immeubles résidentiels en Suisse, est privilégié par les représentants des salariés, pour promouvoir la construction et l'utilisation d'appartements à des conditions avantageuses – avec la bénédiction des autorités. Certains employeurs ne dédaignent pas bénéficier des ressources de leur caisse de retraite, sous la forme de prêts ou d'acquisitions de titres de l'entreprise (actions, obligations). L'allocation des actifs doit évidemment être dynamique, flexible, gérée simultanément dans une perspective de long terme et tactique, refléter tant les mutations sur les marchés financiers que l'évolution des engagements de l'institution. On attend des placements en actions étrangères, ou en obligations en devises, qu'ils soient plus rentables que les valeurs domestiques, mais pas trop volatils, de ceux en hedge funds qu'ils contribuent à la réduction du niveau de risque sans sacrifier la transparence. N'existe-t-il pas désormais des systèmes sophistiqués pour gérer les risques des devises, qu'il suffit d'utiliser correctement?

Il va sans dire que par leurs interventions aux assemblées d'actionnaires, les caisses de pension doivent imposer aux entreprises réticentes une meilleure gouvernance et pallier ainsi à l'apathie générale des investisseurs privés. La réalisation d'une performance moyenne élevée et le maintien en tous temps de l'équilibre financier vont évidemment de soi, de même que la limitation draconienne des coûts de fonctionnement. Questions triviales que l'équilibre délicat entre gestion de fortune interne ou déléguée à des tiers, entre gestion active et passive, ou encore le recours aux véhicules de placement collectifs!

L'opinion, les médias, les politiques ne s'émeuvent plus guère des pertes colossales réalisées occasionnellement par certaines institutions financières à but lucratif, banques, compagnies d'assurances ou encore sociétés d'investissements, des erreurs de stratégie, des défaillances du management – en dépit des ressources humaines, financières et techniques énormes à leur disposition. Mais qu'une institution de prévoyance vienne à déraper, et l'on hurle au loup.

On omet, ou on feint d'oublier, que la responsabilité de la gestion des institutions de prévoyance est assumée par des conseils de fondation, des comités ou des commissions dans lesquels siègent et opèrent selon le principe de la parité des représentants de l'employeur et des assurés. Il s'agit de véritables gouvernements de milice, dans la plus pure tradition helvétique, qui délèguent à une direction constituée de professionnels, lorsque les ressources à cet effet le permettent, les tâches techniques de la gestion de fortune et les supervisent. Ce ne sont pas seulement l'allocation des actifs ou les classes d'actifs qui comptent, les structures, l'organisation, les processus et les modalités de la gestion importent au moins autant, comme la nécessité sans cesse réitérée de contrôler ou d'ajuster les mandats attribués – et surtout de surveiller les mandataires, car tout est affaire d'individus.

On comprend combien sont pesantes les responsabilités assumées par ces hommes et ces femmes, pour gérer avec succès les montants considérables qui leur sont confiés, miliciens de bonne volonté, de bon sens – et leur mérite à y réussir le plus souvent.

Dr ès sc. pol., expert diplômé en assurances de pension.