En France, Nestlé Waters continue de provoquer des remous à Vittel. Mardi, la filiale du géant vaudois de l’alimentation a annoncé la suppression de 171 postes sur son site des Vosges, soit le quart de ses effectifs. La mesure est essentiellement motivée par la décision prise l’an dernier d’arrêter la vente de Vittel en Allemagne. A l’instar du reste de l’industrie, l’entreprise est confrontée à la sécheresse qui affecte l’exploitation des eaux. Début mai, Nestlé Waters avait annoncé la suspension pour une durée indéterminée de deux des six forages dédiés sur son site vosgien à l’eau d’Hépar. Sur place, le groupe est accusé depuis des années par des associations locales de surexploiter les nappes phréatiques.

L’eau en bouteille a-t-elle encore sa place dans le portefeuille du géant veveysan? Lorsque Mark Schneider a repris les rênes de Nestlé en 2017, le secteur de l’eau était considéré comme un des vecteurs de croissance, au même titre que le café, la nourriture pour animaux et la nutrition. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La multinationale a procédé ces dernières années à une profonde refonte de sa division dans l’objectif d’une «croissance rentable à long terme». En 2021, elle s’est séparée de ses marques régionales aux Etats-Unis pour un montant de 4,3 milliards de dollars. D’autres désinvestissements ont eu lieu à travers le monde.

Lire aussi: Nestlé Waters va supprimer un quart des postes sur son site de Vittel, dans les Vosges

Parallèlement, l’entreprise a acquis, il y a deux ans, la marque d’eau fonctionnelle Essentia aux Etats-Unis, dont les ventes s’élevaient à 192 millions de dollars en 2020. La terminologie désigne des boissons aromatisées ou enrichies en minéraux, présentées comme ayant un impact positif pour la santé. Avec cette acquisition, la multinationale «a montré qu’elle s’engageait dans ce secteur, mais avec une stratégie particulière: elle se concentre sur les eaux premium ou fonctionnelles, souligne Clément Maclou, spécialiste de l’investissement thématique chez Oddo BHF Asset Management. Il s’agit de s’orienter vers une activité à plus haute valeur ajoutée», explique-t-il.

Derrière Coca, Danone et PepsiCo

Jusqu’en 2020, Nestlé était le leader du marché de l’eau. Après la vente des marques régionales américaines, la multinationale a été reléguée à la quatrième place, derrière Coca-Cola, Danone et PepsiCo, selon les estimations de la Banque cantonale de Zurich (BCZ). L’unité pèse relativement peu au sein du groupe. En 2010, la division représentait encore 8% des ventes totales de Nestlé, contre seulement 4% en 2022.

Lire également: Nestlé poursuit la réorganisation de son secteur des eaux en bouteille

«L’évolution du secteur de l’eau a été de plus en plus décevante ces dernières années», relève Patrik Schwendimann, analyste auprès de la BCZ, dans un rapport sur Nestlé publié le mois dernier. Après un fort recul des ventes en raison du covid en 2020, l’unité s’est redressée. L’an dernier, la croissance organique a atteint 11%, portée par les hausses de prix, pour un chiffre d’affaires de 3,5 milliards de francs.

Pour Jean-Philippe Bertschy, responsable des actions suisses chez Vontobel, «le marché des eaux en bouteille n’est pas forcément mauvais, il est surtout extrêmement compétitif. Ce n’est probablement pas le domaine où Nestlé peut créer le plus de valeur à long terme. Le groupe reste un des leaders sur le segment haut de gamme avec les marques «champagne» internationales Perrier et San Pellegrino, par exemple, qui reste attractif au niveau des perspectives de croissance.»

Mais la rentabilité est sous pression face à l’augmentation des coûts, principalement de l’emballage et des transports. La marge opérationnelle de la division s’est dégradée de 1,2 point à 7,8%, alors que celle de l’ensemble du groupe atteignait 17,1%. «Nous pensons qu’à moyen terme, Nestlé va se retirer complètement du secteur de l’eau», indique Patrik Schwendimann. Ce n’est en tout cas pas le discours officiel. Contactée, la multinationale rappelle l’importance de son activité d’eau en bouteille. «Nestlé Waters reste une activité stratégique pour Nestlé et nous continuerons à soutenir et à promouvoir nos marques en fonction de l’évolution des tendances de consommation», souligne un porte-parole.

Des considérations environnementales

Jean-Philippe Bertschy s’interroge sur «comment le groupe va pouvoir augmenter de manière pérenne la profitabilité et les retours sur capital investi du secteur de l’eau. Nestlé est-il le meilleur propriétaire pour ce business à long terme? La question est définitivement posée.» Certes, le groupe est bien positionné avec ses marques premium. «Cependant, la marge opérationnelle structurellement plus faible du domaine de l’eau par rapport aux autres secteurs de croissance jouait déjà en sa défaveur, avance Patrik Schwendimann. A cela s’ajoute désormais une motivation non négligeable pour une telle démarche, presque impensable il y a quelques années encore, à savoir les considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).» Car ces activités sont souvent mal vues auprès du grand public et de certains investisseurs.

Dans un rapport publié mi-mars, l’ONU dénonçait les dégâts infligés par cette industrie, accusée d’aggraver les inégalités d’accès à l’or bleu et d’augmenter la pollution plastique. De plus, l’eau consommée en bouteille n’est pas forcément meilleure que celle du robinet, selon l’étude publiée par l’Institut pour l’eau, l’environnement et la santé de l’Université des Nations unies.

Reste que l’eau en bouteille connaît une forte croissance dans le monde. Les ventes devraient presque doubler d’ici à 2030, passant de 270 à 500 milliards de dollars. Le secteur est très fragmenté, les grands groupes ne se partageant qu’un quart du marché. La croissance est portée par les pays émergents et les nombreux fournisseurs locaux, notamment en Chine. Un marché dynamique, mais qui ne semble plus être en phase avec la réorientation stratégique de Nestlé amorcée depuis plusieurs années.

Lire enfin: L’industrie de l’eau en bouteille pollue et freine l’accès à l'or bleu