Le Temps: Au premier semestre, le bénéfice net a reculé de 30% et l’afflux net de fonds a ralenti par rapport au même exercice un an plus tôt (3,4 milliards contre 5,5). Etes-vous satisfait de la performance de la banque cette année?

Boris Collardi: Oui, nous sommes satisfaits de ces résultats. Nous avons amélioré notre performance opérationnelle de façon marquée grâce à une reprise de l’activité des clients et à une meilleure gestion des coûts. Cela nous a permis d’augmenter notre bénéfice net ajusté de 26%. Côté organisationnel, nous sommes toujours très occupés à l’intégration des activités que nous avons rachetées à l’International Wealth Management de Merrill Lynch l’an dernier. Nous avons vécu un été calme, surtout comparé à l’été 2012 lorsque certains prévoyaient un éclatement de la zone euro. En outre, nous avons travaillé l’an passé d’arrache-pied à préparer l’acquisition des activités de Merrill Lynch. L’intensité était telle que nous avions un tournus de la direction 24 h sur 24. Pour le second semestre, il est difficile de faire des prévisions.

Où en est l’intégration des activités de Merrill Lynch?

Nous en sommes presque à la moitié et nous pensons l’achever d’ici à la fin de 2014. Le processus se passe bien, nous avons un bon niveau de réponse de la part des clients et les gestionnaires font un excellent travail.

Vous avez réalisé plusieurs grosses acquisitions. Avant Merrill Lynch, vous avez acquis les activités suisses d’ING. Cherchez-vous encore des cibles ou êtes-vous dans une phase de digestion?

L’intégration de Merrill Lynch n’est pas une petite opération. Pour l’analogie, ce n’est pas un repas à deux plats, mais plutôt à six ou sept et nous en sommes à la moitié. Nous ne sommes donc pas activement à la recherche de nouvelles acquisitions. L’équipe de direction est également très absorbée par la marche des affaires. Cela ne signifie pas que nous avons complètement fermé les yeux non plus.

Comment peut-on s’assurer que les actifs que l’on reprend sont de bonne qualité et qu’on ne risque pas de se retrouver avec des problèmes plus tard?

C’est un mélange de plusieurs éléments. Dans tous les cas, nous effectuons une «due diligence» et nous observons toutes les activités, les coûts, la rentabilité, etc. Nous passons le plus de temps à étudier les actifs, la taille des clients, leur origine, leur historique, l’intensité de la relation, etc. Nous prenons beaucoup de précautions de ce point de vue. Si les clients viennent uniquement d’Europe par exemple, nous ne reprendrons pas la banque. Et si nous voyons que des relations ne correspondent pas à nos standards, nous les excluons de la transaction. Pour Merrill Lynch, c’était le cas des clients américains.

Vous assurez-vous également que les actifs sont déclarés?

Nous appliquons quelques filtres en fonction de nos strictes directives internes. C’est le cas aussi pour les personnes exposées politiquement (PEP), qui doivent toutes passer par un comité d’experts de la banque pour décider si nous conservons les relations ou non.

On parle beaucoup de la consolidation de l’industrie. Est-il facile de racheter une banque? Les possibilités d’acquisitions sont-elles nombreuses?

Nous recevons des propositions tous les jours. Mais nous avons plusieurs critères. D’abord la taille. Nous avions toujours dit que nous cherchions des cibles avec au moins 10 à 20 milliards de francs sous gestion pour que l’effort en vaille la peine. La qualité des actifs, ensuite, est essentielle. Nous voulons savoir d’où viennent les clients et connaître les raisons de leur présence en Suisse, notamment si elles sont fiscales. La culture d’entreprise est également importante pour savoir si l’intégration dans Julius Baer sera possible. Enfin, puisque nous sommes une entreprise cotée, nous nous intéressons à la rentabilité des portefeuilles. Une fois tous ces critères appliqués, il est évident que les possibilités sont nettement moins nombreuses. Sur dix dossiers que nous recevons, il y en a peut-être deux qui semblent intéressants a priori. Puis, nous pouvons entamer une discussion avec l’un des deux seulement. Sur les discussions que nous avons lancées ces trois dernières années, deux ont été particulièrement importantes. L’une, Sarasin, a échoué puisque cette banque a été rachetée par le groupe Safra. L’autre concernait Merrill Lynch, qui a finalement abouti.

Vous vous êtes beaucoup développés en Asie, qu’est-ce que cela représente désormais pour la banque?

Nous avons choisi de concentrer beaucoup d’efforts dans cette région car c’est celle qui compte le plus de millionnaires et où la croissance du nombre de ceux-ci est la plus importante. Aujourd’hui, cela représente 10 à 15% de notre volume d’affaires. Lorsque l’intégration de Merrill Lynch sera achevée, nous parviendrons à 20-25% et 800 à 1000 emplois. L’objectif est d’avoir un quart de nos activités lié à cette région, un quart lié aux autres régions émergentes et le reste avec l’Europe et la Suisse.

Cela signifie-t-il que les opportunités sont encore très importantes en Europe malgré la crise et malgré les tensions fiscales?

J’ose à peine être optimiste par rapport à l’Europe. Pourtant, la situation s’est améliorée sur les deux plans. Je pense que le pire est derrière pour ce qui est de la crise et le Vieux continent reste une région riche. En outre, la relation entre l’Europe et la Suisse a été clarifiée et nous sommes entrés dans la phase d’adaptation. Les clients savent désormais que leur pays ne tolère plus que certains fonds échappent au fisc. Il existe donc un processus – des amnisties, des programmes de régularisation ou Rubik par exemple – pour régler ce problème.

Passer à l’échange automatique d’informations n’est donc pas si grave…

Sur le fond, je pense que tout le monde était d’accord sur l’idée que les choses devaient évoluer. Et elles évoluent dans la bonne direction. Dans cinq ans, nous ne parlerons plus de ces détails, comme l’échange automatique d’informations. Cela me fait penser au moment où le port de la ceinture de sécurité est devenu obligatoire pour le conducteur d’une voiture. Cela semblait tellement absurde et inconfortable. Pourtant on a très rapidement arrêté d’en parler et c’est devenu une évidence. Comme de mettre son casque pour faire du ski ou du vélo. Ne pas le faire sera étrange. Certes la forme est importante. Nous n’avions pas de véritable plan d’action et nous avons été trop lents à réagir. C’est vrai pour tout le monde, les acteurs du secteur et le gouvernement. Et sans doute, la cacophonie a été trop importante.

Les clients européens sont-ils encore rentables? D’un côté, faire de la gestion on shore rapporte moins et, de l’autre, la gestion offshore est devenue plus compliquée puisque les actifs déclarés nécessitent un autre traitement.

Dans un monde parfait, il faudrait une convergence entre les standards de surveillance en Suisse et en Europe (MiFid par exemple). Il s’agit de la protection des investisseurs et je ne vois pas comment il pourrait y avoir de divergences si importantes. Ainsi, les clients européens pourraient avoir un compte en Suisse et satisfaire à toutes les exigences. Nous n’aurions plus besoin de bureaux en Europe, nous aurions des gérants certifiés qui pourraient se déplacer dans toute l’Union. L’autre extrême est d’aller s’implanter partout en Europe en multipliant les représentations. Une telle stratégie ne permet pas de gagner de l’argent à moins d’investir énormément et à très long terme. Nous avons voulu essayer un nouveau modèle qui se situe à mi-chemin. Nous avons centralisé la banque européenne en Allemagne, où nous avons une importante base de clientèle, une licence bancaire et où nous savons que la main-d’œuvre est de qualité et les conditions-cadres bonnes. Il s’agit d’une plateforme qui n’a pas besoin d’être répliquée dans tous les pays. Nous sommes présents en Espagne par exemple dans le front, mais les opérations se font en Allemagne.

En 2005, vous avez lancé une phase de développement et de croissance qui a vu la banque grandir très vite. Allez-vous continuer sur la même lancée au cours des dix prochaines années?

Pour faire référence à l’industrie, notre «carnet de commandes» est plein jusqu’à fin 2014 avec les activités et l’intégration de Merrill Lynch. Ensuite, le plan de 2005 aura 10 ans, nous analyserons la situation pour voir comment la stratégie va évoluer. Nous sommes passés de 60 milliards sous gestion à 250-300 milliards d’ici à fin 2014. Il faudra trouver comment déployer la même énergie pour développer notre service, nos performances, notre innovation. Ce sont les éléments clés.

Vous faites partie des banques en négociations avec les autorités américaines sur le différend fiscal. Où en sont-elles?

Nous n’avons eu aucunes nouvelles pendant l’été. Sans doute, les négociateurs ont pris une pause estivale. Nous espérons des nouvelles au cours des prochaines semaines.

Etes-vous inquiets du montant de l’amende potentielle?

Il est impossible d’évaluer le montant d’une amende. Il n’y a aucun modèle pour le faire. Nous pensons que le montant potentiel sera réglable avec les moyens à disposition. Pour le reste de l’industrie, je n’ai pas d’informations. C’est aux banques d’étudier si elles ont eu des clients américains et, si leur nombre était important, de faire les démarches nécessaires.

La transmission aux autorités américaines de données comportant des noms d’employés a suscité beaucoup de réactions dans certaines banques. Comment cela s’est-il passé chez Julius Baer?

Nous sommes plus petits et nous avons nettement moins d’employés concernés par ces transmissions. Nous avons pris note de certaines requêtes de la part de collaborateurs inquiets après plusieurs réactions dans les médias. Nous sommes dans un dialogue continu avec les employés concernés, qui savent quelles informations sont transmises et pourquoi.

Vous ne semblez pas particulièrement inquiet pour l’avenir de la Suisse dans la gestion de fortune. Pourquoi?

La Suisse pourra continuer d’être une place forte dans la gestion de fortune. Regardez les banques en Europe, leur nombre diminue. En Allemagne, par exemple, Sal. Oppenheim a disparu, c’était l’une des plus anciennes banques de gestion. De même, la banque BHF est en vente depuis un certain temps. Il y a de moins en moins d’acteurs qui peuvent offrir un service complet et de la stabilité, hors des grands groupes bancaires dont les activités de banques d’investissement les rendent plus volatiles. Et il ne suffit pas d’ouvrir quelques succursales pour pouvoir se targuer de 300 ans d’expérience dans la banque. Cet héritage fait que la Suisse restera un pôle d’excellence dans ce domaine pour longtemps.

Ce discours est aux antipodes de la morosité qui se répand dans l’industrie…

Quand un changement violent se produit, chacun a une attitude différente. La période de déni peut durer plus ou moins longtemps en fonction des personnes. En réalité, le plus gros du changement est déjà derrière nous. Le temps que l’on passe dans le déni, c’est le temps qu’on ne met pas à profit pour saisir de nouvelles opportunités. Nous avons plutôt voulu voir des opportunités dans tous ces changements et nous orienter dans le futur. Quitte à prendre des risques que certains auraient jugés inconsidérés dans le passé. La Suisse manque de confiance en elle, dans la qualité de sa place financière et dans ses établissements. Il faut aller de l’avant, continuer à être innovants, à investir et à se battre pour gagner des parts de marché. Il ne faut pas oublier que nous sommes le berceau de la gestion de fortune!

Interview réalisée le 15 août

«Lorsque l’intégration de Merrill Lynch sera achevée, 20 à 25% de nos activités seront réalisées en Asie»