Employabilité. Leif Agnéus y revient souvent. Très souvent. Pour le nouveau patron suédois de Manpower Suisse, c’est la meilleure, pour ne pas dire la seule réponse à apporter à la vague de robotisation qui est en train de gagner tous les secteurs de l’industrie et des services: conserver sa capacité à obtenir ou à conserver un emploi.

Cette révolution du monde du travail, il la perçoit comme une révolution des compétences. A côté de ses traditionnelles activités de placement, Manpower l’empoigne en développant ses prestations de conseil et de formation. Une stratégie qui lui sert à résister à l’automatisation de son métier de base, mais aussi à préparer ses candidats aux nouveaux emplois et à ceux qui n’existent pas encore.

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«Le Temps»: Vous êtes à la tête de Manpower Suisse depuis le 1er février. Quelle direction voulez-vous donner à l’entreprise? Etes-vous confiant dans la capacité de ce grand paquebot à changer de cap?
Leif Agnéus: Il ne s’agit pas de changer de cap. L’objectif est de nous renforcer dans les activités où les besoins des employeurs, nos clients, sont en croissance. Le marché recherche de plus en plus de solutions en ressources humaines, pas simplement des candidats. Cela requiert des compétences différentes de notre part. Ces solutions ne sont pas standardisées, elles doivent être adaptées de cas en cas.

Un exemple?
L’externalisation du recrutement et de la gestion des talents. Nous avons besoin de nous développer et de proposer ce type de solutions, qui peuvent aller du recrutement de quelques collaborateurs à la gestion complète du processus.

Manpower place 20 000 candidats chaque année en Suisse. Est-ce vraiment à vous, avec un tel volume, de proposer des solutions personnalisées?
Notre métier est d’apporter des solutions en ressources humaines. La base historique est le recrutement et le placement de personnel. Aujourd’hui, et encore plus demain, nous serons amenés à fournir davantage de solutions sur mesure. C’est aussi pour cette raison que nous travaillons de manière locale, pour être flexibles et sensibles aux besoins régionaux.

Former les candidats, mettre à jour leurs compétences, cela a un coût. Comment le facturez-vous à vos clients?
Nous ne le facturons pas ainsi que vous l’entendez. Et ces efforts sont bénéfiques pour nous. Nos divers programmes de formation permettent de nouer une relation à long terme avec les candidats, tout comme avec les clients. Et ils profitent aussi à nos collaborateurs internes. Ils les fidélisent.

Comment percevez-vous la nouvelle révolution industrielle, celle de la robotisation et de la connexion universelle? Certaines études prédisent des destructions d’emploi massives.
Le degré d’industrialisation de notre société et du monde du travail n’a jamais cessé d’évoluer. Et si l’on regarde en arrière, on ne peut que constater que nous sommes beaucoup plus nombreux à travailler que par le passé. Et pourtant, l’automatisation a toujours gagné du terrain.

Il y a quand même une différence avec les précédentes révolutions industrielles. Les machines sont et seront capables d’apprendre et de s’améliorer.
Je suis convaincu que des emplois vont être créés. On ne sait pas encore lesquels. C’est cette incertitude qui est perçue par beaucoup comme peu rassurante.

Quelles sont les transformations qui touchent votre métier en particulier? Pourrait-on assister à une sorte d’ubérisation du secteur du placement de personnel?
Je ne le perçois pas ainsi. Une machine, aussi perfectionnée soit-elle, ne peut pas juger de l’adéquation d’un candidat avec une entreprise, sa culture, ce qu’elle attend d’un employé en termes de «soft skills», c’est-à-dire son intelligence émotionnelle.

Craignez-vous l’arrivée probable de Google for Jobs sur le marché suisse?
A l’heure où l’on se parle, ce n’est pas un problème pour nous. A nous de nous montrer réactifs, de ne pas avoir peur. La peur fige, elle a une incidence sur notre manière de réagir.

Donc un agrégateur d’offres d’emploi, aussi puissant que peut l’être celui de Google, ne vous pénalisera pas?
Aujourd’hui déjà, environ 50% des personnes qui recherchent un emploi passent par Google. A terme, je vois plutôt ces nouveautés comme une opportunité, un défi. Elles nous sortent de notre zone de confort et c’est très bien ainsi! Notre métier a évolué sans cesse, ces dernières décennies, et nous sommes toujours parvenus à nous adapter. La seule différence, aujourd’hui, c’est que ces changements s’accélèrent, que les mouvements s’accentuent. Mais les fondamentaux restent les mêmes!

En parlant de fondamentaux qui restent, il y a une question que l’on ne peut pas ne pas poser au patron de Manpower: qu’est-ce qui ne doit surtout pas figurer sur un CV?
Des mensonges.

Il y en a souvent?
Régulièrement. Cela concerne souvent le niveau de pratique d’une langue ou d’un outil informatique. Parfois les diplômes, mais c’est moins le cas en Suisse. Cela dit, toutes ces exagérations sont facilement détectées en entretien et grâce à nos tests d’évaluation.

Que faites-vous, dans ces cas-là?
D’abord, il faut faire comprendre à ces personnes que les employeurs se parlent entre eux. Et que ce genre de tromperie peut être pénalisant pendant longtemps. Ensuite, encore une fois, nous pouvons proposer à ces personnes de se mettre à niveau. Ces mensonges sont aussi préjudiciables pour l’employé que pour nous. Nous avons la responsabilité de proposer les candidats adéquats aux entreprises qui nous mandatent.