L’émergence des start-up financièresLa scène genevoise commence à frémir. Nées dans la Silicon Valley, puis à New York et Londres, des start-up actives dans les technologies financières commencent à émerger en Suisse. Qu’il s’agisse de paiements mobiles, de nouvelles plateformes internet pour les consommateurs ou de services aux banques, les initiatives se multiplient (lire également ci-dessous). Dès l’automne prochain, Genève accueillera un premier incubateur de start-up, Fusion, pour stimuler et soutenir les initiatives dans ce domaine.

Un exemple? A Zurich, Secure Safe se présente comme une plateforme d’échange de fichiers, à l’image de Dropbox mais en version sécurisée, un domaine où la Suisse cherche justement à se profiler.

Occupées à gérer l’après-secret bancaire, à s’adapter à la flambée réglementaire, nombre de banques ont semblé laisser de côté les technologies financières, au-delà des paiements par Internet ou des banques de courtage en ligne. Les start-up américaines ont pourtant largement investi le domaine: la mise en bourse de LendingClub, une plateforme de prêts, qui a récolté près de 1 milliard de dollars, en témoigne. D’autres acteurs non bancaires ont également lancé leurs initiatives. C’est le cas d’Apple avec son système de paiements mobiles ApplePay, ou de Facebook, qui veut permettre des transferts sur sa plateforme et a déposé une demande de licence bancaire.

Le retard suisse

En Suisse, pourtant, «les habitudes ont la vie dure. Qu’il s’agisse de consommateurs ou d’entreprises, les Suisses attendent souvent qu’une technologie ait prouvé son efficacité avant de l’adopter», considère Sylvain Bertolus, fondateur de Cash Sentinel, une société spécialisée dans le transfert sécurisé de fonds. Or, depuis trois à quatre mois, il se réjouit de voir le sujet occuper de plus en plus discussions et conférences, même si les initiatives concrètes sont encore rares dans la région lémanique.

Autre entrepreneur du domaine, Jean-François Groff, qui a développé un système de paiement par téléphone mobile, s’étonne du retard de la Suisse: «C’est un comble dans un pays où la place financière est aussi importante et où tous les ingrédients – universités, fonds, etc. – sont réunis pour que ce segment se développe.»

Si Genève a pris son temps, Zurich dispose d’une longueur d’avance. Les grandes banques y comptent des équipes dédiées à l’innovation financière, même discrètes, et plusieurs start-up ont émergé ces dernières années. «Sans doute parce que la région est plus grande et parce que c’est un centre financier plus complet, avec non seulement de la gestion de fortune mais aussi des assurances et davantage de gestion alternative», explique un responsable de l’innovation dans un établissement suisse. Antoine Verdon, un entrepreneur installé à Zurich, abonde: «L’écosystème entrepreneurial est plus développé à Zurich en général et la région est en train de se constituer une position forte dans le domaine des cryptotechnologies, liées au bitcoin et aux autres monnaies virtuelles.» Il cite aussi Zoug, qu’on commence à appeler la «Cryptovalley».

A cela s’ajoute un état d’esprit: outre la taille et la diversification du secteur financier, Zurich est «probablement moins imprégnée du culte du secret et de la confidentialité, ce qui rend les Zurichois plus enclins à s’intéresser à des concepts d’échange du savoir», estime Olivier Collombin. Ce dernier a lancé une foire virtuelle de la finance et la plateforme virtuelle E-merging, chez Lombard Odier, qui met en commun gérants indépendants et fournisseurs de services.

Retard ou pas, la Suisse a une carte à jouer. «Nous sommes déjà une sorte de Silicon Valley, nous avons les talents nécessaires et les fonds, mais nous hésitons à en faire le marketing et à mettre en lien cette expertise avec les besoins des clients finaux», assure Olivier Collombin. Les experts pointent des domaines précis. Alors que la cybercriminalité inquiète partout dans le monde, «dans la sécurité des données financières, la Suisse peut faire beaucoup», ajoute Sylvain Bertolus.

Coresponsable avec PolyTech Venture de ce nouvel incubateur, Fusion, Ben Robinson, responsable de la stratégie et du marketing chez le fournisseur de logiciels Temenos, voit lui des opportunités pour rendre les paiements plus sûrs, ou faciliter les transferts de fonds d’expatriés vers leur pays d’origine, encore très lents et très chers. D’où son but de réunir tous les acteurs, banques, sociétés financières, universités et start-up.

Pas d'investissement massif

Au dire de nombreux experts, il manque encore un investissement massif des plus importants acteurs: «Pour l’instant, les banques suisses n’ont pas encore vraiment montré leur intérêt à se rapprocher des réseaux d’innovation dans la fintech», a ajouté Antoine Verdon.

Il estime que, pour que des start-up se développent et jouent un rôle essentiel, comme dans la pharma ou les biotechnologies, par exemple, il faut «des banques ouvertes à l’innovation, prêtes à jouer le rôle de clients tests et à apporter du soutien et des conseils». A l’image, dit-il, de Barclays, à Londres.

UBS a néanmoins fait un pas dans cette direction cette semaine. Le responsable de l’«Innovation Lab» de la banque a expliqué à la Neue Zürcher Zeitung vouloir utiliser l’Innovation Park de Dübendorf, dans le canton de Zurich, pour en faire un pôle de développement des technologies financières. Bien que le lieu ne soit pas encore complètement déterminé, plusieurs acteurs participent aux réflexions. Le canton, les Universités de Zurich et Saint-Gall et l’Association des banques zurichoises planchent sur le projet. L’Ecole polytechnique de Zurich, où ont notamment été développées quelques initiatives sur le bitcoin, a aussi montré son intérêt, ainsi que certaines banques dont le nom n’a pas été dévoilé.

Pour Bruno Richle, directeur général de Crealogix, l’un des leaders de l’informatique bancaire en Suisse, l’innovation est cependant limitée: «Les vrais modèles disruptifs et révolutionnaires vien­dront de l’extérieur, de pays où le système bancaire n’est pas aussi développé.»

La preuve que le chemin est encore long? «C’est à Londres que les sociétés suisses ont dû venir se vendre», la semaine dernière, lors d’une foire consacrée aux nouvelles technologies dans la finance, souligne le patron de Crealogix.