L’envol contrarié des énergies propres
Analyse
Le conseiller national socialiste Roger Nordmann a une passion pour l’énergie et de réelles compétences pour en parler. Il vient de publier un livre chez Favre «Libérer la Suisse des énergies fossiles »
Le conseiller national socialiste Roger Nordmann a une passion pour l’énergie et de réelles compétences pour en parler. Il vient de publier un livre chez Favre Libérer la Suisse des énergies fossiles*. Ses convictions et ses idées sont bien connues. Président de Swissolar, vice-président de l’ATE, Roger Nordmann n’est pas un expert au sens scientifique du terme mais un observateur qui cherche à transmettre au lecteur les clés d’un débat complexe, difficile à appréhender dans ses multiples dimensions. S’il n’est jamais neutre dans ses arguments, l’auteur décortique les grands nombres, les paramètres incontournables qui permettent de comprendre les controverses qui ne manqueront pas de ressurgir avec la reprise des discussions sur l’avenir de l’atome. Les spécialistes n’y découvriront rien de bien neuf. Mais ce n’est pas à eux qu’il s’adresse mais au citoyen. Qui se demande s’il est possible de renoncer à terme à l’atome, s’il est envisageable de s’affranchir à plus long terme des énergies polluantes sans diminuer le niveau de confort, bref d’assurer une prospérité «durable» et renouvelable.
L’auteur conclut par l’affirmative mais entreprend au préalable un inventaire honnête de la question. Dans sa préface, l’aventurier solaire Bertrand Piccard s’étonne que les «évidences» décrites par Roger Nordmann ne soient toujours pas comprises par les milieux économiques, qui doutent sérieusement de la possibilité d’un changement radical, qui romprait avec les scénarios officiels plus prudents. L’auteur plaide l’urgence en énumérant les risques posés par l’épuisement prévisible des énergies fossiles et le réchauffement climatique. Ils sont suffisamment bien connus pour que l’on ne s’y attarde pas. Sans surprise sous la plume d’un élu socialiste engagé dans le lobby antinucléaire, Roger Nordmann rejette la filière de l’atome qu’il juge dangereuse, inefficace et difficile à déployer à grande échelle. Il n’entre pas en matière sur une possible évolution technique majeure, du type des surgénérateurs qui prendraient le relais des centrales classiques.
Au fil des pages, le lecteur qui cherche LA solution ou les propositions qui changeraient la donne énergétique sera déçu. Roger Nordmann, sans l’écrire noir sur blanc, se range plutôt dans le camp des réalistes, à savoir que toute politique énergétique prend du temps pour se déployer, se heurte à des choix économiques difficiles et comporte son lot d’incertitudes. Implicitement, il admet que la politique énergétique de la Suisse est plus riche que la réputation sommaire qui en est faite. L’élu sait que les choix helvétiques sont faits de compromis, de petits pas et d’options dites raisonnables mais qui ne permettront pas de sortir de la dépendance des énergies fossiles et conduiront à une reconduction de l’énergie atomique si l’opinion générale juge que le risque de pénurie est imminent. C’est le statu quo par défaut que redoutent Roger Nordmann et beaucoup de promoteurs des énergies renouvelables. Si les instruments (normes techniques, taxes, subventions, dépenses de recherche, etc.) pour inverser la tendance existent, ils sont si peu dotés de moyens réels qu’ils échoueront à coup sûr, comme le suggère une étude crédible de l’Académie des sciences techniques (http://www.satw.ch/publikationen/schriften/39_roadmap_f.pdf). Pour déclencher des investissements qui se calculent sur des décennies, une vision à très long terme serait nécessaire. Nous en sommes loin. En bon socialiste, Roger Nordmann fustige le «court-terminisme» du marché qui hésite à investir dans les technologies nouvelles qui seront les vecteurs du progrès économique et technique de demain. Mais est-ce vraiment le marché qui est en cause? N’est-ce pas plutôt l’absence d’un signal politique fort qui encouragerait l’innovation et dissuaderait le gaspillage des ressources? Comme le démontre à l’envie l’expérience française, l’étatisme n’est en rien vertueux en matière d’énergie. Au contraire même. Sans le monopole d’EDF et la protection de l’Etat, jamais le nucléaire n’aurait pu se développer pareillement. Mais l’auteur a raison sur un point: à lui seul, le marché ne parvient pas à défendre l’intérêt général (le long terme), à initier un changement de cap, tant que les règles d’investissement demeureront incertaines ou faussées. Les acteurs de l’énergie sont eux-mêmes pris au piège d’une contradiction flagrante. Ainsi, la majorité des grandes villes suisses déclarent renoncer volontairement à l’option nucléaire mais, comme actionnaires, ces mêmes villes soutiennent implicitement la construction de trois nouvelles centrales! Bien sûr, et Roger Nordmann le souligne, la vague des énergies vertes s’amplifie et tout montre que la transition a commencé. Elle sera toutefois longue et difficile. Les vieux pays industrialisés s’y préparent mais à un rythme si lent que le but final proposé par Roger Nordmann, à savoir une société affranchie des énergies fossiles à l’horizon 2030, semble bien improbable. Sans doute, faudra-t-il attendre la fin de ce siècle. Vivrons-nous d’ici là le choc de l’épuisement des réserves fossiles, pourrons-nous éviter les catastrophes climatiques que l’auteur redoute? Les questions sont posées. Les réponses se font attendre.
L’avenir des énergies renouvelables est certain sur le long terme. La durée de la transition dépendra à coup sûr du prix des énergies fossiles qui ne reflète toujours pas leur rareté et encore moins les dégâts collatéraux qu’elles occasionnent. L’industrie nucléaire n’est pas mieux lotie, comme vient de le montrer l’échec d’EDF aux Etats-Unis: même avec des subventions massives et une garantie de l’Etat, tous les projets de nouveaux réacteurs sont gelés en raison de la chute de la consommation et de l’effondrement des cours du gaz.
*«Libérer la Suisse des énergies fossiles», Editions Favre SA, 183 p.
Sans la protection de l’Etat, jamais le nucléaire n’aurait pu se développer