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L’euro s’enfonce, la BNS en état d’alerte

La nouvelle crise de faiblesse de l’euro contraint la BNS à vendre des milliards de francs. Politiquement parlant, le taux plancher, qui conduit à un gonflement de son bilan, est plus solide qu’en 2011. Lundi, UBS a par ailleurs établi une prédiction qui devrait apaiser les éventuelles tensions: le bénéfice 2014 de la BNS pourrait atteindre 38 milliards de francs. Cantons et Confédération peuvent espérer un dividende plus élevé qu’attendu

La monnaie européenne est plombée par la mise en place prochaine de mesures de la BCE et de nouveaux scénarios sur une sortie de la Grèce de la zone euro. — © Keystone
La monnaie européenne est plombée par la mise en place prochaine de mesures de la BCE et de nouveaux scénarios sur une sortie de la Grèce de la zone euro. — © Keystone

L’euro s’enfonce, la BNS en état d’alerte

Devises La nouvelle crise de faiblesse de l’euro contraint la BNS à vendre des milliards de francs

Politiquement, le taux plancher est plus solide qu’en 2011

Le bénéfice 2014 de l’institution pourrait atteindre 38 milliards de francs

La Banque nationale suisse (BNS) n’a pas eu droit à une trêve de Noël. Depuis plusieurs semaines, l’euro faiblit. Et il la force à intervenir massivement sur le marché des changes. Ce lundi, la monnaie européenne valait 1,2015, flirtant avec le taux plancher de 1,20 défendu par la BNS.

Mais la pression était encore plus intense, ce lundi. Pour les investisseurs, les incitations à échanger leurs euros pour des monnaies plus rassurantes – le franc, le dollar… – se sont multipliées depuis Nouvel An. D’abord, vendredi, dans une interview à la Handelsblat t, le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, a encore rapproché l’éventualité d’un assouplissement quantitatif dans la zone euro. Celui-ci conduirait à une augmentation des euros en circulation et affaiblirait donc leur valeur.

Mais ce n’est pas le seul facteur de rejet. La Grèce, précisément son avenir politique, ajoute de la nervosité. La perspective d’une victoire du parti de gauche Syriza aux élections législatives du 25 janvier inquiète les marchés. Parce que son chef de file veut mettre fin à l’austérité et reconsidérer les conditions du remboursement des dettes de la Grèce. La tension est même montée d’un cran, tandis que le Spiegel affirmait qu’Angela Merkel elle-même serait prête à laisser la Grèce sortir de l’euro.

Face à cette résurgence du scénario «Grexit» – compression de Greece et exit –, les taux négatifs décidés par la BNS le mois dernier paraissent bien inutiles. Faire payer les détenteurs de francs devait en décourager quelques-uns. L’effet d’annonce n’aura duré que quelques heures. «La BNS fait mine de conserver une certaine indépendance vis-à-vis de la BCE, mais elle devra sans doute bientôt calquer sa politique sur celle de la zone euro», considère Charles Wyplosz, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (HEID). Concrètement, baisser encore son taux négatif, actuellement à – 0,1%, pour les banques qui lui confient leur argent, jusqu’à égaler celui de la BCE (– 0,25%).

En attendant, c’est à nouveau la planche à billets qui fait tenir le taux plancher. Des statistiques publiées ces derniers jours par la BNS permettent d’estimer qu’elle a vendu 48 milliards de francs, en 2014. Pour acheter des euros et des dollars surtout, mais aussi des yens, des livres sterling ou des dollars canadiens.

En 2013, le front avait été bien plus calme – 8 milliards d’augmentation des réserves de changes. En 2012 par contre, la BNS avait vendu pour 173 milliards de francs, parfois, au rythme de 15 milliards de francs par semaine! Techniquement, elle peut lutter sans limite, puisqu’elle a le pouvoir d’émettre, et donc de vendre, de nouveaux billets à l’infini. Mais politiquement parlant, l’exercice pourrait être moins simple qu’il n’y paraît. Après quelques grincements de dents, en 2010 et 2011, la stratégie de la BNS avait fini par convaincre. Les inquiétudes sur l’explosion de son bilan s’étaient apaisées. Pourraient-elles resurgir aujourd’hui? A l’époque, avant le 6 septembre 2011, «la BNS a surtout été critiquée parce qu’elle achetait des euros sans avoir défini de taux plancher», rappelle Daniel Lampart, le chef économiste de l’Union syndicale suisse (USS). Aujourd’hui, ajoute-t-il, «certains membres de l’UDC ou des milieux financiers continuent d’être mécontents, mais tous ceux qui sont proches de l’économie réelle ne trouvent plus rien à redire».

La taille du bilan de la BNS «est une question idéologique», poursuit Charles Wyplosz. Certains pourraient chercher à agiter la sphère parlementaire ces prochains mois, selon lui, mais après le refus net du peuple d’imposer un quota d’or à la Banque nationale, le 30 novembre, le professeur estime que l’institution est «confortée dans sa position».

En 2011 et 2012, la majeure partie des interpellations parlementaires concernait le risque de pertes de changes de la BNS. Il faut dire qu’elle détient 174 milliards d’euros. «C’est un cercle vicieux. Si elle abandonne le taux plancher, le franc va fortement s’apprécier. Et c’est à ce moment-là que les pertes en euros se matérialiseront», résume encore Charles Wyplosz.

Aujourd’hui, soyons clairs, personne n’ose imaginer un tel scénario. A l’inverse, pour faire remonter l’euro, la BNS peut-elle se faire aider par Berne? En 2012, un groupe de travail administration fédérale-Banque nationale avait été formé pour étudier les possibilités d’intervention non monétaires. On reste sans nouvelles de ses conclusions.

Une intrusion étatique, comme à la fin des années 1970, lorsque des arrêtés fédéraux imposaient des taxes aux acheteurs de francs, est-elle envisageable? «En principe, oui, répond Daniel Lampart. Mais pour le moment, même avec la perspective d’une sortie de la Grèce de la zone euro, l’outil le plus efficace reste le taux plancher.» En cas de vraie grande déconvenue en zone euro, la question méritera d’être reposée, conclut toutefois l’économiste. «Cela constituerait un gros risque pour l’industrie bancaire suisse, prévient Charles Wyplosz. Même si les taux négatifs ont le même effet comptable qu’une taxe, ils apparaissent comme une mesure moins inamicale.»

Un chiffre devrait apaiser les tensions politiques autour de la BNS. «Grâce au développement positif des marchés en 2014, le bénéfice de la BNS devrait se situer entre 36 et 38 milliards de francs», a calculé l’économiste d’UBS, Dominik Studer. En dépit de plusieurs incertitudes mathématiques et politiques, ce dernier estime que les cantons et la Confédération peuvent espérer toucher environ 1 milliard de francs, en tant qu’actionnaires de la Banque nationale. Au total, «ils ont budgété 370 millions de francs de distribution. Ils peuvent donc s’attendre à une bonne surprise», écrivait-il lundi matin.

Une intrusion étatique, comme dans les années 1970? «La question méritera d’être reposée»

«La BNS devra sans doute tôt ou tard calquer sa politique sur celle de la zone euro»