La semaine dernière, un groupe minier américain, MP Materials, a exporté des terres rares au Japon, une vente remarquée dans les milieux géopolitiques. C’est la première fois, depuis des années, que l’entreprise vend ses produits à un autre pays que la Chine. Ce contrat, espère Washington, doit symboliser un premier pas vers une réduction de la dépendance américaine vis-à-vis de l’Empire du Milieu sur ces métaux stratégiques.

Les Etats-Unis et l’Europe importent à peu près toutes les terres rares qu’ils utilisent de Chine. Cette expression désigne un ensemble de 17 métaux méconnus mais toujours plus prisés. Leurs propriétés, notamment magnétiques, les rendent essentiels pour les véhicules électriques, dans l’aéronautique, les énergies renouvelables ou encore l’armement. La guerre en Ukraine a encore étoffé leur demande.

Mais voilà: la Chine détient un quasi-monopole dans leur production minière et, surtout, dans leur traitement. Les deux tiers des mines s’y trouvent, tout comme la quasi-totalité des capacités mondiales de raffinage.

Ces métaux portent mal leur nom car ils ne sont pas rares, mais leur extraction est complexe car leur concentration dans les gisements est minime. Pour en obtenir quelques grammes, il faut vite extraire des dizaines de tonnes de roches. C’est coûteux, ça pollue et ça décourage les Occidentaux. Pékin y a vu un créneau très tôt – «Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine des terres rares», disait Deng Xiaoping dans les années 1980 – et a inondé le secteur de subventions. Jadis, l’industrie était dominée par l’Occident et Mountain Pass, la mine californienne de MP Materials, la plus grosse du secteur. Désormais, tout est chinois.

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La guerre en Ukraine, la pandémie, les soubresauts logistiques et les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ne cessent de rappeler à quel point il est néfaste de dépendre excessivement d’une région du monde. Surtout si elle domine déjà d’autres marchés stratégiques, des médicaments aux fertilisants.

En 2010, la Chine, en conflit diplomatique avec Tokyo, a réduit ses ventes de terres rares au Japon. En 2019 et en 2021, la deuxième économie mondiale a menacé de faire de même avec les Etats-Unis. Pendant des années, Pékin a limité ses exportations en la matière, avant qu’une plainte américaine à l’OMC ne la fasse changer de politique. En Europe, la dépendance chinoise est d’autant plus piquante que la livraison des terres rares se fait via des trains en Russie et qu’elles servent à fabriquer des armes, selon l’agence Bloomberg.

Pour les rendre plus concurrentielles, Pékin voudrait fusionner en deux géants les six principales entreprises du secteur. Le régime ne lésinerait pas non plus sur les attaques informatiques contre le groupe australien Lynas, le principal producteur de terres rares en dehors de son territoire, selon ce dernier.

Texte européen en vue

Les Etats-Unis ont réagi, l’Europe est à la traîne. En 2017, l’administration Trump a signé un décret pour renforcer l’industrie des terres rares aux Etats-Unis. Cette dernière bénéficie depuis 2021 d’une aide fiscale dans ce pays. En février 2022, Joe Biden a subventionné MP Materials, qui a ouvert une usine de traitement de terres rares au Texas et, en août, est entré en vigueur l’Inflation Reduction Act, qui promeut la production de métaux rares aux Etats-Unis.

«Nous voulons commercialiser nos terres rares raffinées et nos produits magnétiques à l’échelle mondiale. Avec le développement des véhicules électriques et des éoliennes, deux grands utilisateurs d’aimants en terres rares, nous voulons desservir le marché européen», indique au Temps un porte-parole de MP Materials.

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De son côté, l’Europe a fait savoir qu’elle divulguerait en mars les détails d’un Règlement sur les matières premières critiques (CRMA) dont la Commission européenne a parlé pour la première fois en septembre. Un gisement de terres rares, le plus grand d’Europe, a été trouvé en janvier à Kiruna, au nord de la Suède, mais avant qu’il ne soit exploité et que sa production ne soit traitée sous nos latitudes, il faudra patienter des années.

Sur ce front, le Vieux-Continent dépendra en attendant de la Chine et peut-être d’une firme américaine. MP Materials dit extraire 16 des 17 terres rares, et fournir tout de même 15% de l’offre mondiale en la matière. L’entreprise prévoit d’extraire plus de 6000 tonnes de neodymium et de praseodymium, deux des terres rares les plus prisées, par année. De quoi permettre la propulsion de 6 à 10 millions de véhicules électriques, selon l’entreprise.