Les Google, Twitter ou encore Facebook sont pointés du doigt pour les milliards de revenus qu’ils génèrent en plaçant de la publicité à côté de contenus journalistiques dont ils n’ont pas financé la fabrication. Un projet de directive européenne discuté ce mercredi à Bruxelles veut instaurer un repérage automatique des contenus protégés par copyright qui seraient mis en ligne sur les plateformes internet. Le texte veut également mettre en place un droit voisin pour la presse, qui permettrait de générer des revenus pour les médias.

Qu’est-ce que les droits voisins?

«Il s’agit de droits qui ne protègent pas une œuvre et son auteur, mais des personnes qui l’exécutent, par exemple dans le domaine musical, ou qui la diffusent», décrypte Anne-Virginie La Spada, avocate spécialisée dans les questions de propriété intellectuelle.

Dans le domaine de la presse, l’instauration de droits voisins protégerait les éditeurs, qui mettent des articles à disposition du public. Le projet de directive européenne prévoit que les éditeurs pourront demander une rémunération pour la reproduction d’un article ou même s’y opposer. Si le texte est accepté, «on peut imaginer que des accords globaux seront conclus entre les principales plateformes de partage et les groupes de presse, fixant la rémunération due pour la reproduction d’articles, sur un mode forfaitaire ou proportionnel au nombre d’articles utilisés», poursuit Anne-Virginie La Spada. Les droits voisins des éditeurs seraient protégés pendant une durée de vingt ans après la publication de l’article.

Pourquoi ce projet fait-il polémique?

Les opposants au texte mettent en avant les difficultés techniques pour identifier tous les contenus publiés sur les réseaux sociaux. Certains estiment également qu’il pourrait devenir interdit de poster des parodies de films ou de chansons. De manière générale, la liberté d’expression est souvent invoquée: la directive pourrait empêcher de faire référence à un article, car cela pourrait être considéré comme du plagiat. Dernier argument des opposants: celui de l’autogoal. Le texte européen, s’il est accepté, renforcerait selon eux la dépendance économique des médias envers les géants du web, qui deviendraient une source de revenus importante.

On ne peut pas exclure une belle bataille juridique après le vote, analyse l’avocat Laurent Muhlstein, également spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle: «Google, par exemple, pourra se défendre en avançant qu’il n’a fait que créer un algorithme qui permet d’effectuer des recherches et de retrouver des articles, ce qui ne fait pas de lui un interprète ou un diffuseur. A quoi la Commission européenne pourra répondre que Google met à disposition des articles sans autorisation des auteurs, et que l’entreprise devrait payer pour cette prestation.»

Quelles conséquences pour la Suisse, si le texte européen est accepté?

En Suisse, la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins est en révision depuis plusieurs années, «ce qui aurait laissé le temps de reprendre certains aspects du projet de directive européenne, qui date de 2016, mais ça n’a pas été le cas. Le droit suisse contiendra peut-être des éléments de ce type à l’avenir, si les expériences réalisées dans l’Union européenne sont concluantes», reprend Anne-Virginie La Spada.

L’avocate souligne que la Suisse prévoit d’instaurer un régime spécial pour les photographies, qui seront protégées même si elles ne sont pas originales. Cela pourra faciliter la protection des photos de presse. En revanche, les articles ne bénéficieront pas d’une telle protection élargie. Le droit suisse autorise en l’état la reproduction de courts extraits d’articles de presse, d’émissions de radio ou TV à des fins d’information sur des questions d’actualités.