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L’homme qui a attiré les Prix Nobel à Zurich

C’est un pionnier particulier, le premier «jeteur de pont» suisse entre l’université et l’industrie. Ce chimiste de formation devint membre des conseils d’administration de Ciba et de Sandoz, puis président du lobby. C’est avec lui que l’EPFZ se réforma et devint une institution internationale

Analyse

L’homme qui a attiré les Prix Nobel à Zurich

Personne ne connaît Robert Gnehm. Il est vrai que c’est un pionnier particulier, celui du transfert de savoir, le premier «jeteur de pont» suisse entre l’université et l’industrie. Ce chimiste de formation fut administrateur de Ciba et de Sandoz, puis président du lobby de l’industrie chimique et présida le conseil de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) de 1905 à 1926. C’est lui qui initia, en 1908, la profonde réforme de l’institution, qui lui permit notamment de distribuer des doctorats. La renommée internationale de la haute école revient à ses efforts d’ouverture aux étudiants d’autres pays et d’engagements d’enseignants étrangers de haut niveau. C’est aussi lui qui dirigea les vastes projets d’agrandissement de l’institution. Il est donc logique que la Société d’études en matière d’histoire économique lui consacre un ouvrage et l’intègre dans sa série des pionniers suisses de l’économie et de la technique*.

Robert Gnehm a attiré les plus brillants scientifiques dans la ville de Zwingli. Sans doute n’a-t-il pas été le plus actif lors de l’engagement d’Albert Einstein. Initialement, il a même exprimé ses réticences à l’idée de voir le génial physicien enseigner au plus grand nombre. C’est Heinrich Zangger, ami de longue date du Prix Nobel de physique en 1921, qui a le plus œuvré en ce sens. Mais c’est sous la présidence de Robert Gnehm que le Poly a pu engager d’innombrables professeurs qui devinrent plus tard des Prix Nobel: Richard Willstätter (1872-1942), Hermann Staudinger (1881-1965), Richard Kuhn (1900-1967), et Peter Debye (1884-1966). Tous avouèrent avoir été convaincus non pas par un salaire zurichois, mais par des conditions de travail plus favorables à l’EPFZ que dans les universités concurrentes. Les talents d’Albert Einstein étaient convoités par les Universités de Leiden, Utrecht, Vienne et Berlin, mais il accepta l’invitation de l’EPFZ et y enseigna de 1909 à 1911. Si Albert Einstein tourna le dos à Zurich après à peine deux ans d’enseignement pour lui préférer Berlin, la responsabilité en revient, selon le physicien lui-même, à «l’esprit souvent mesquin des Suisses». En l’occurrence, son regard visait surtout le recteur Vetter, lequel reprochait par exemple au physicien «le coût élevé du chauffage de l’auditorium lors de mes cours sur la relativité»…

Robert Gnehm (1852-1926) était un Schaff­housois d’origine aisée et le quatrième de six enfants. Son père était propriétaire d’une brasserie. Brillant dans ses études de chimie, il fut nommé aide assistant à l’EPFZ à vingt ans. Après le décès de son professeur, Emile Kopp, le conseil du Poly lui proposa le titre de chargé de cours, mais rapidement il interrompit son cursus académique et s’engagea dans l’industrie en 1877, en l’occurrence au sein de la fabrique de colorants Oehler en Allemagne. Il y a rejoint un ancien collègue de l’EPFZ, Alfred Kern, le futur cofondateur de Sandoz.

A cette époque l’industrie des colorants synthétiques comprenait la plupart des futurs grands noms de l’industrie pharmaceutique actuelle, de Bayer à Geigy en passant par BASF, le premier groupe chimique au monde au début du XXe siècle.

Robert Gnehm entra trois ans plus tard chez Bindschedler & Busch, le leader de la chimie bâloise, où il retrouva Alfred Kern en tant que directeur. Il participa à la découverte de nouveaux colorants pour l’industrie de la teinturerie. L’expansion de la société s’accompagna toutefois de difficultés financières, pour elle et pour ses actionnaires, si bien que, finalement, elle fut reprise par Ciba. Robert Gnehm en devint directeur. Mais rapidement, il entra en conflit avec les organes dirigeants sur la définition précise de ses fonctions. Il quitta l’entreprise rhénane en 1894 et offrit ses services à Sandoz. Il cumula les fonctions de consultant pour le Bâlois et, à partir de 1894, de professeur à l’EPFZ. Il sera même président du conseil d’administration de Sandoz dès 1896. A sa nomination au poste de directeur de l’EPFZ, Robert Gnehm se retira de l’entreprise. Mais, en demeurant conseiller du groupe, il dirigea quantité d’étudiants talentueux vers le groupe chimique. A commencer par les futurs présidents Hans Leemann et Arthur Stoll. Ce dernier occupa une place importante dans l’histoire de Sandoz, puisqu’il dirigea la division Sandoz et permit au groupe de se diversifier en dehors des colorants.

La réforme et l’internationalisation ambitionnée par Robert Gnehm à l’EPFZ succédaient à une période de politisation de l’institution. Alors que lui-même n’a pas fait d’armée, son prédécesseur, Hermann Bleuler (1837-1912), était un militaire de carrière.

La réforme de l’EPFZ entreprise par Gnehm a débuté par une redéfinition des relations avec la ville et le canton, et s’est poursuivie par des conditions d’admission facilitées. Robert Gnehm s’opposa à l’introduction d’un numerus clausus et à l’interdiction d’étudiants étrangers.

Cofondateur de Sandoz, Robert Gnehm est resté un actionnaire de référence et invité par le conseil d’administration sur des questions clés, telles qu’une représentation du groupe aux Etats-Unis.

Son rôle a également été politique. A Bâle, Robert Gnehm fut élu (PLR) au parlement local jusqu’à sa nomination à l’EPFZ. Et plus tard, il devint président de la très importante Société suisse des industries chimiques (SSIC), de 1887 à 1893. A l’époque déjà, la protection de la propriété intellectuelle était au cœur des débats. Robert Gnehm appartenait aux adversaires d’une loi sur les brevets et soutenait l’idée d’un brevet sur les substances et non sur les procédés. * Robert Gnehm, Brückenbauer zwischen Hoch­schule und Industrie, Schweizer Pioniere der Wirtschaft und Technik, Verein für wirtschaftshistorische Studien, 2014.

A Bâle, Robert Gnehm (PLR) fut élu au parlement. Et plus tard,il devint président de l’industrie chimique suisse