La crise économique frappe durement les journaux américains. Les recettes publicitaires devraient baisser de 20% cette année outre-Atlantique, selon les analystes financiers. Les disparitions se succèdent. Il existe même des sites internet qui en font une chronique, tels que newspaperdeathwatch.com. La recherche économique dispose maintenant d’éléments suffisants pour mesurer et évaluer l’effet politique du phénomène.
Un travail de l’Université de Princeton (1) affirme avoir réalisé la première étude portant sur l’impact politique du maintien de la concurrence dans la presse. La disparition du «Cincinnati Post», fin décembre 2007, a permis au «Cincinnati Enquirer» de disposer du monopole sur la ville. Une situation de plus en plus fréquente puisqu’il y a un siècle la concurrence entre journaux régnait dans 689 villes. Au début 2009, ce nombre a plongé à 15. De plus, beaucoup de quotidiens en situation de monopole sont en sursis.
L’impact politique est majeur. Les chercheurs prouvent que la fin du Cincinnati Post, pourtant un bien modeste quotidien au tirage d’à peine 27'000 exemplaires, a réduit la participation électorale et le nombre de candidats aux élections municipales, et renforcé les chances de réélection des élus. L’étude porte sur les élections générales de 2004 et 2008.
Les sites internet, les blogs, les radios et télévisions, et le seul quotidien restant, malgré un tirage de 200'000 exemplaires, n’ont de loin pas comblé le vide politique.
Le «Post», propriété du groupe Scripps Co, bénéficiait d’un accord avec son concurrent. Tous deux formaient depuis 1977 une sorte de coentreprise (joint operating agreement). L’accord est le fruit d’une loi, le Newspaper Preservation Act, qui date de 1970 et autorise une exemption à la loi sur les cartels en cas de graves difficultés économiques. L’accord n’a pas été renouvelé par le propriétaire de l’Enquirer, le groupe Gannett, propriétaire également de USA Today.
Les chercheurs sont bien conscients que leur analyse pourrait être critiquée pour son imprécision statistique. Mais les résultats sont impressionnants. Il s’agirait toutefois de vérifier si l’impact observé aux dernières élections se prolonge à long terme.
D’autres travaux de recherche s’étaient penchés sur les aspects politiques de la présence des médias. Plus le tirage est élevé et plus la corruption est faible, selon une étude d’Adserà, Alicia, Carles Boix et Mark Payne (2003). Une très récente étude de Trounstine (2009) sur 7000 villes américaines montre que l’équipe au pouvoir dispose d’un moindre avantage électoral si la ville a son propre quotidien ou hebdomadaire. Paul Starr, dans un essai paru en mars, exprime ses préoccupations et de ses inquiétudes sur l’avenir de la démocratie.
(1) Do newspapers matter? Evidence from the closure of the Cincinnati Post, Sam Schulhofer-Wohl, Princeton University and NBER, et Miguel Garrid Princeton University, Discussion Paper 236, mars 2009.