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«Le plan Wahlen avait déjà définitivement enterré l’idée d’une autarcie en Suisse», souligne Nicolas Bezençon, ingénieur agronome à Agridea (Association suisse pour le développement de l’agriculture et de l’espace rural). Ce plan visant l’autonomie alimentaire a été introduit en 1940, réquisitionnant l’ensemble des terres – pâturages, parcs publics et terrains de sport – pour l’agriculture, mais ses objectifs n’ont été que partiellement atteints (60 à 70% d’autosuffisance selon les sources).
Se nourrir, à quel prix?
«C’est à travers l’ouverture sur le monde et le multilatéralisme que chaque pays construit une partie de sa sécurité alimentaire, complétant les productions nationales», relève Sébastien Abis, chercheur en géopolitique de l’agriculture et de l’alimentation à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) à Paris. Ces échanges assurent aussi une certaine diversité, à laquelle les consommateurs européens sont habitués:«Seraient-ils prêts à renoncer à une mangue, un ananas? Ou, plus trivialement, à leur café ou chocolat du petit-déjeuner?» interroge le spécialiste. Des produits transformés localement mais dont la matière première est acheminée via des circuits longs.
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Enfin, et surtout, démondialiser poserait la question de l’accès aux aliments: à quel prix ces denrées locales, produites dans des pays à coûts de production élevés comme la Suisse, seraient-elles proposées? «Pour tout un pan de la population dans le monde, mais aussi en Europe, la préoccupation première n’est pas de manger mieux, mais de manger tout court», avertit Sébastien Abis. Des propos qui font écho aux images récentes de ces files de personnes en attente de distribution alimentaire dans les villes européennes, y compris en Suisse.
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Un système à repenser
Rompre la logique d’échange ne serait ni réaliste ni souhaitable. En revanche, le système peut être repensé, en questionnant dans un premier temps la notion de territorialité, suggère Nicolas Bezençon. «La production dite locale et distribuée en circuit court à Genève pourrait-elle inclure des aliments de France voisine, sans pour autant concurrencer la production genevoise?» se demande l’ingénieur agronome, soulignant la difficulté à définir le périmètre d’approvisionnement. «Cette notion de périmètre est explorée par la nouvelle politique agricole», ajoute-t-il. A cette idée de régionalisation, Sébastien Abis ajoute la combinaison de circuits courts et longs et le respect de la saisonnalité des produits.
Dans tous les cas, développer cette «mondialisation modernisée» sur le long terme nécessite l’implication de tous les acteurs du système – production, mais aussi transformation, transport, distribution et consommation, insiste Nicolas Bezençon. Au niveau du débat public, l’ingénieur agronome suggère de faire évoluer la politique agricole vers une politique alimentaire: «Cela permettrait d’inclure dans les discussions l’ensemble des acteurs clés, de la semence à l’assiette en passant par l’industrie et la logistique, qui eux aussi doivent prendre leurs responsabilités. Tous ont intérêt à améliorer la résilience, la qualité, la traçabilité des filières et à minimiser les déchets alimentaires.» Face à un consommateur toujours plus conscient de ces critères et exigeant quant à eux.