Sommet de Lausanne
Réunis au Beau-Rivage Palace, les traders ont fait part de leurs inquiétudes. Ils ne savent pas quel sort leur sera réservé avec la future réglementation européenne

Les négociants en matières premières s’inquiètent toujours davantage d’un durcissement réglementaire en Europe. Et, par ricochet, en Suisse. Ils n’ont pas manqué de le rappeler lors de la cinquième édition du FT Commodities Global Summit qui s’est tenue de lundi à mercredi à l’Hôtel Beau Rivage de Lausanne.
Un sondage réalisé par KPMG, dont les résultats ont été publiés à cette occasion, montre que les négociants placent l'évolution de la réglementation en troisième position de leurs inquiétudes. Juste derrière les prix bas et le ralentissement de la croissance économique mondiale.
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Au coeur de leurs craintes, on retrouve la directive européenne MiFID 2, qui doit entrer en vigueur début 2017. Censée réguler davantage les marchés financiers, elle devrait s’appliquer aux négociants qui recourent à des produits financiers pour couvrir leurs positions réelles. Des limites quant au nombre des instruments qu’ils auraient le droit de vendre ou d’acheter devraient ainsi être introduites. Les négociants risquent également d’être considérés comme des sociétés de services financiers, ce qui les obligerait à répondre aux mêmes exigences en capital que les banques.
«Agenda purement politique»
Le mécontentement suscité par la directive était palpable du côté de Lausanne. «Ce durcissement réglementaire est guidé par un agenda purement politique, s’est indigné le patron de Gunvor Torbjörn Törnqvist mardi matin. Malheureusement, les connaissances de notre métier [par les régulateurs] sont très faibles. Vous ne pouvez pas comparer des marchands de biens physiques à des institutions financières. Si vous ne nous permettez pas de couvrir nos positions, vous contribuerez à accroitre les risques que nous prenons», a-t-il ajouté.
Pour Gert-Jan van den Akker, président de l’unité agricole de Cargill, les politiques risquent tout simplement de faire disparaître la liquidité des marchés en voulant s'en prendre à la spéculation. Quant à Gonzalo Ramirez Martiarena, directeur de Louis Dreyfus Company depuis septembre, il a rappelé que le secteur était déjà réglementé.
Un trader genevois rencontré dans les couloirs du sommet explique que la question était déjà réglée au sein de sa société. «La directive a déjà dépassé le stade de la décision politique. Nous allons déplacer notre trading de produits dérivés de Londres vers le Singapour, a-t-il indiqué sous le couvert de l’anonymat. Mais pas vers la Suisse, qui n’est pas un marché pour cela, et qui ne fait qu’appliquer les réglementations européennes.»
Précisions d'ici quelques semaines
Pour l’heure, les détails de MiFID 2, et ses conséquences pour les négociants, ne sont pas encore connues. «Il faudra être encore un peu patient», a lancé mercredi Paul Willis, de l’autorité financière britannique (FCA), aux traders réunis à Lausanne. La balle est dans le camp de l’autorité européenne des marchés financiers (ESMA) qui doit revenir vers la Commission européenne avec des ajustements à son projet dans les six prochaines semaines, a-t-il précisé.
Deux questions en particulier restent en suspens: qui exactement sera considéré comme une société d’investissement et, surtout, quelle portée aura la limite imposée aux positions financières des négociants? «Aux Etats-Unis, cette limite concerne 28 contrats financiers. Dans le projet européen, elle pourrait littéralement concerner des milliers d’instruments», a rappelé Paul Willis.
Une chose est sûre néanmoins: comme l’a souligné mardi le patron de Vitol Jeremy Weir, le durcissement réglementaire aura un impact sur les coûts des négociants et leurs capacités à réaliser des économies d’échelle. Elle aura également un impact indirect puisque les nouvelles exigences demandées aux banques pourraient conduire certaines à réduire encore davantage, voire à laisser tomber, leurs activités de financement du négoce («trade finance»).
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