On espérait un début de sortie du tunnel à Bali, mais les propos tenus ce midi (5h du matin à Genève) par le ministre indien du Commerce, Anand Sharma, tendent à confirmer l’impasse des négociations. D’intenses consultations se sont déroulées dans la nuit de mercredi à jeudi, sous la houlette du directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Manifestement, sans qu’une percée significative n’ait émergé.

«Mieux vaut ne pas avoir d’accord qu’en avoir un mauvais. Car un compromis reviendrait à sauver l’OMC, au détriment des centaines de millions de nécessiteux visés par nos programmes d’aide alimentaire», résume Anand Sharma. Et d’ajouter: «Je ne suis pas venu ici pour négocier un accord, ni pour mendier une clause de paix [immunité contre des plaintes pour subvention agricole illégale, ndlr], mais pour défendre l’agriculture de subsistance.»

La sécurité alimentaire est un «droit inaliénable, inscrit dans plusieurs textes de Nations unies, dont sont signataires la plupart des Etats membres de l’OMC», poursuit-il encore, dans un appel désespéré à faire cesser l’hypocrisie régnante.

Entrer dans le XXIe siècle

Plus que jamais publiquement inflexible, le ministre indien exige une révision de l’accord sur l’agriculture du cycle de l’Uruguay. Perspective à laquelle les Etats-Unis restent farouchement opposés, quand bien même les bruits courent sur un adoucissement – depuis la nuit dernière – de leur position. «Nous voulons corriger les distorsions passées qui ont biaisé le développement des pays les plus pauvres. Est-ce déraisonnable? interroge Anand Sharma. Non, notre quête est noble et il ne faut pas s’y méprendre et nous accuser à tort pour quelque chose dont nous ne sommes pas responsables.» Traduction: les prix agricoles datant de 1986 à 1988 – plus bas que les tarifs actuels – servent de référence à l’OMC pour déterminer le degré acceptable des subventions. Ainsi, seuls 10% du total de production agricole sont tolérés pour financer une politique d’achats publics de céréales. «Nous demandons à ce que ces prix, vieux de 39 ans, soient enfin réévalués, lance Anand Sharma, précisant qu’une soixantaine de pays dans le monde ont mis en place des mécanismes d’aide alimentaire. Ne restons pas otages des années 1980 et allons ensemble vers le XXIe siècle, de manière juste et équitable pour tous.»

Dans son combat, l’Inde précise ne pas être isolée, mais au contraire soutenue par un nombre (non précisé) de pays, «représentant ensemble 75% de la population mondiale», tranche Anand Sharma, avant d’ajouter être un fervent défenseur du multilatéralisme et optimiste sur l’issue de Bali. Toutefois, la rigidité des présences en force fait craindre le pire pour l’organisation. «Je ne sais pas d’où vient cette théorie fumeuse, dit-il. Nous ne sommes pas venus pour faire tomber l’OMC. Cette organisation va bien et ira bien même en cas de défaite à Bali, comme il en a été lors de nombreux précédents échecs.»

Et au ministre indien de se livrer à l’analyse sémantique suivante: «Dans le dictionnaire, le mot «intérimaire» ne s’accompagne pas de la notion de temps.» Les Etats-Unis ont en effet proposé un moratoire de 4 ans, moyennant la constitution d’un groupe de travail afin de déterminer une solution permanente. Anand Sharma, lui, est plutôt d’avis qu’«intérimaire» est synonyme de «perpétuel».

A la question du risque de dumping à travers l’écoulement de réserves alimentaires indiennes dans les pays voisins, le responsable de New Delhi a assuré qu’à la seconde où cette marchandise «venait à atteindre un port pour trouver le marché libre, les responsables seraient immédiatement conduits en prison».

Les pourparlers en vue d’aboutir à un consensus à Bali doivent se terminer demain vendredi dans l’après-midi. Sans qu’aucune possibilité d’extension n’ait pour l’heure encore été prévue.