La Chine, l’Inde et le Brésil sont autant de réussites économiques. Mais des différences majeures existent entre ces trois pays «émergents» dans la lutte contre la pauvreté, notamment dans l’emploi des politiques de redistribution, ainsi que le démontre Martin Ravallion, le célèbre directeur de la recherche économique de la Banque Mondiale, dans une étude récente (1).

Le seuil de pauvreté est ici fixé à 1,25 dollar par jour. Le pourcentage de population qui vit en dessous de cette limite est très différent d’un pays à l’autre. En Chine, 81% des habitants étaient en-dessous de cette limite en 1981 et le taux a chuté à 16% en 2005. Au Brésil, ce pourcentage est tombé de 17 à 8% durant cette période. En Inde, de 60 à 42%.Non seulement la Chine profite de la plus forte croissance économique (9% en moyenne annuelle, contre 5% en Inde et 1% au Brésil), mais aussi de la meilleure performance dans le combat contre la pauvreté.

La grande raison des écarts de performance tient, selon Martin Ravallion, en un mot: inégalités. Au début des réformes, les inégalités sont bien moindres en Chine qu’ailleurs, ce qui permet au plus grand nombre de profiter de la croissance économique. Ainsi le Brésil aurait été pénalisé par de plus grandes inégalités au début des années 1990. Par la suite, les inégalités ont été croissantes en Inde et surtout en Chine. Par contre elles ont diminué au Brésil. Les inégalités sont mesurées par le coefficient dit de Gini. Les courbes convergent. En 2025, l’auteur prévoit que l’inégalité sera en Chine aussi grande qu’au Brésil.

La méthodologie peut d’ailleurs être discutée. En Inde, la question des castes joue un grand rôle. Les femmes sont également fortement pénalisées. Il convient aussi de parler des services de santé et de la formation scolaire. En Chine, l’accès à la santé et à la formation était beaucoup plus égalitaire qu’en Inde dans les années 1990. Un avantage.

La forte baisse de la pauvreté en Chine est d’abord le fait de la libéralisation agricole, alors qu’elle s’est effectuée dans les services au Brésil et en Inde. L’introduction du système chinois de «responsabilité du ménage» pour sortir le pays d’un système collectiviste a été la clé du succès. La capacité future de la Chine à poursuivre sa croissance dépendra toutefois de ses efforts dans la lutte contre l’inégalité des chances. Celle-ci suppose une politique de redistribution efficace, selon la Banque Mondiale. Elle devrait prendre exemple sur le Brésil. Celui-ci lie l’octroi d’un transfert social à une prestation. Par exemple, les enfants doivent aller à l’école et avoir accès aux soins de base.

Martin Ravallion, fervent défenseur des politiques de redistribution, apprécie la loi dite Dibao qui assure un revenu minimum en Chine. Il va plus loin et se demande quel taux d’impôt sur le revenu les citoyens non-pauvres devraient payer pour que tous les citoyens dépassent le seuil de pauvreté. D’après son calcul, ce taux d’impôt serait de 36% en Chine. En comparaison, il ne serait que de 0,7% au Brésil. Par contre en Inde, même avec un taux d’impôt théorique de 100%, seuls 20% des Indiens pauvres pourraient dépasser ce seuil. L’Inde a une longue histoire d’interventions de l’Etat, mais extrêmement mal ciblées.

(1) A comparative Perspective on Poverty Reduction in Brazil, China and India, Martin Ravallion, World Bank, Working Paper 5080, october 2009