L’intelligence artificielle augmente la personnalisation dans la finance
Suisse 4.0
Grâce au big data, des prêts peuvent être accordés à des consommateurs sans qu’ils fournissent leurs données financières personnelles

«L’industrie bancaire est déjà structurellement et économiquement en faillite. La seule solution est une automatisation massive. Elle permet de diminuer la base de coûts, de prendre de meilleures décisions de crédit et de cibler de meilleurs clients.» Ces paroles ont été prononcées par l’ancien patron de la banque anglaise Barclays, Antony Jenkins, lors d’une récente conférence sur la disruption numérique des banques. Maintenant à la tête d’une société de technologie financière (fintech), 10x Future Technologies, Antony Jenkins estime que les coûts, et non l’innovation, représentent la bataille décisive pour le secteur bancaire.
Des économies, l’intelligence artificielle pourrait en permettre jusqu’à 100 milliards de dollars pour les dix plus grandes banques du monde, tout en augmentant leurs revenus d’environ 50 milliards, selon Boston Consulting Group (BCG), dont une division fabrique des algorithmes pour ses clients.
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Effectifs en baisse de 20%
Le patron de cette division, Sylvain Duranton, explique au Temps que «cet impact concerne pour un tiers le corporate banking et pour deux tiers la banque de détail et la gestion de fortune. Dans la distribution, l’automatisation provoquera une très forte réduction des coûts, par exemple en remplaçant les centres d’appel. On estime que 10 à 15% des coûts et 20% des effectifs pourraient disparaître.»
Deux autres éléments de la chaîne de valeur sont concernés, poursuit le spécialiste, de passage à Genève pour une conférence. Dans le back office, les processus peuvent être largement automatisés, «pour des gains de productivité de l’ordre de 20%». Dans le marketing, ajoute notre interlocuteur, une augmentation des revenus de 10 à 15% est possible, grâce à deux améliorations que peut apporter l’intelligence artificielle: une fixation plus fine du prix et une personnalisation très poussée des offres proposées à un client.
«Dans les prêts à la consommation, reprend Sylvain Duranton, des sociétés constituent d’importants portefeuilles de prêts à la consommation sans avoir de réseau d’agences.» Comment? En concluant des partenariats avec de grands distributeurs, actifs sur internet ou dans des magasins physiques. Ces distributeurs se basent sur les données de consommation de leurs clients pour établir des modèles d’analyse du risque qui déterminent si tel ou tel client peut recevoir un crédit, et à quel taux. De telles pratiques sont courantes en Amérique latine ou en Asie, précise notre interlocuteur.
Sans connaître le revenu des clients
«Ces méthodes se basent uniquement sur les comportements de consommation des clients, sans avoir accès à leurs données financières. L’analyse repose sur la comparaison avec un autre échantillon de clients, dont l’entreprise possède les données bancaires et connaît le comportement d’achat», décrit le spécialiste de BCG.
Reste à convaincre le client de transmettre ses informations de consommation – son consentement doit être explicite – et d’accepter de contracter un crédit. «Le distributeur tient ce discours à un client sur le point d’effectuer un gros achat: «J’ai négocié pour vous un prêt avec telle banque pour aider votre achat, à tel taux; si vous le voulez, appuyez sur oui», résume Sylvain Duranton. Les données du client sont alors envoyées à la banque, le client contracte un crédit à un taux qui n’est pas systématiquement plus attractif que la moyenne et il reçoit son argent dans les trois secondes – «car tout aura été approuvé au préalable». Le tout pour un taux de défaut qui n’est pas plus élevé.
Élaboration d'algorithmes
Dans les investissements aussi, le big data est de plus en plus utilisé. «Environ 90% des données mondiales ont été produites au cours des deux dernières années, mais seulement 2% sont analysées actuellement afin d’aider la prise de décision, le potentiel est donc immense», observe Pascal Mischler, qui dirige Goldman Sachs Asset Management en Suisse.
«Nos algorithmes couvrent environ 13 000 sociétés. Par exemple, dans l’automobile, plutôt que de suivre les constructeurs, l’intelligence artificielle peut couvrir toutes les entreprises qui sont liées à ce secteur. S’il perçoit par exemple que les voitures du futur nécessiteront un certain type d’alliage, l’algorithme saura immédiatement quel fournisseur en profitera», détaille le Genevois d’origine.
Au niveau mondial, cette division de la banque d’affaires américaine emploie dans son équipe de gestion quantitative environ 170 personnes pour gérer les portefeuilles ainsi que pour traiter les données, avec des profils très techniques et de haut niveau, mais pas forcément uniquement dans la finance. Une partie de leur travail consiste à élaborer des algorithmes.
Analyse de texte
Autre exemple, «un algorithme peut repérer dans un article de journal ou dans une recommandation d’analyste un changement de ton, qui devient par exemple plus pessimiste, par rapport à tous les articles écrits précédemment sur un thème ou par la même personne et donner un signal d’achat ou de vente sur un portefeuille», poursuit Pascal Mischler. La gestion quantitative, qui s’appuie sur des algorithmes, représente 40 milliards de dollars d’actifs chez Goldman Sachs, qui gère un total de 1300 milliards de dollars.
Pour finir, l’intelligence artificielle peut aussi s’appliquer à des activités moins financières. Comme la Coupe du monde de football. En analysant des millions de données sur les caractéristiques des équipes, des joueurs et leurs performances récentes, les algorithmes de Goldman Sachs prévoient cette année une victoire du Brésil. Comme lors des trois précédentes éditions de la Coupe du monde. A chaque fois, cette prévision s’était révélée… fausse.