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L'interview de la semaine. «Il faut que le principe des bonus, très généreux à la hausse, soit aussi très pénalisant à la baisse»

Pierre Mirabaud, président de l'Association suisse des banquiers.

C'est sur une période de trois années prospères pour la place financière suisse qu'a régné jusqu'ici Pierre Mirabaud à la tête de l'Association suisse des banquiers (ASB). Les grandes guerres menées par le secteur à l'époque des fonds en déshérence et des attaques contre le secret bancaire sont loin; aujourd'hui, à l'ère post-Bilatérales II, c'est une année 2006 soutenue par de fabuleux marchés financiers qui se clôt sur des bénéfices record. Et la place de Genève attire de nombreux talents de l'alternatif. Ces single managers ayant traversé la Manche pour s'établir en Suisse témoignent de la compétitivité croissante de la place pour les métiers les plus sophistiqués de la finance. L'ASB reste néanmoins vigilante, car toutes les batailles pour favoriser un cadre réglementaire et fiscal favorable aux secteurs clés de la finance alternative ne sont pas encore gagnées. Entretien avec Pierre Mirabaud.

Le Temps: Votre mère est d'origine roumaine. Vous avez créé la fondation Pro Democratia en Roumanie. Bref, vous n'êtes pas insensible au sort des ex-pays de l'Est. Que vous inspire l'acceptation par le peuple suisse du milliard de cohésion?

Pierre Mirabaud: C'est une décision extrêmement positive! Je m'en réjouis d'autant plus que je comprenais les réserves qu'inspirait ce projet, tant du point de vue de la rigueur budgétaire que sur la façon dont le Département des affaires étrangères l'a amené sur la place publique, après la conclusion des accords bilatéraux avec l'Union européenne. Je ne vous cache pas que j'étais nerveux quant à l'issue du vote. Un non aurait donné l'image désastreuse d'un ministre désavoué par le peuple après avoir donné sa parole à l'extérieur. Nous ne pouvions pas nous le permettre dans cette phase de consolidation des négociations.

  • L'an dernier, les banques suisses ont dégagé un bénéfice en hausse de 59% sur un an. Avons-nous atteint un pic?

  • 2006 sera une bonne année, même si le troisième trimestre a été moins brillant que les précédents. Cela dit, n'oublions jamais que notre métier est cyclique.

Je ne pense pas que nous soyons à la fin du cycle, mais nous en avons dépassé la moitié.

La cyclicité de notre métier n'est pas grave en soi, car le secteur financier s'adapte très vite. Le danger - que je ne vois pas à l'horizon - c'est l'accident exogène qui provoquerait un ralentissement brutal.

  • L'explosion des bonus à New York et à Londres donne l'impression que certains salariés ont un pouvoir excessif de négociation. Que pensez-vous de cette dépendance des banques à l'égard des banquiers et traders de haut vol?

  • Tout d'abord, le système anglo-saxon est très différent de la Suisse, où les échelles de bonus varient beaucoup d'une banque à l'autre. Ensuite, il y a différentes catégories de bonus. Ceux liés directement aux résultats de l'entreprise, et ceux liés aux résultats d'une activité de l'entreprise. Les bonus liés aux résultats du groupe sont, il est vrai, illimités, faisant de ces cadres des associés, ou des actionnaires virtuels de la banque. Mais là n'est pas le problème. Dans tout ce débat sur les bonus, ce ne sont pas les montants qui devraient susciter des interrogations. Face à la concurrence, il s'agit de toute façon de retenir ces spécialistes. Mais ce qui m'importe le plus, c'est la gouvernance d'entreprise: il faudrait que ce principe, qui est très généreux à la hausse, soit très pénalisant à la baisse. Si une entreprise se décidait à se séparer d'un responsable ayant réalisé une mauvaise performance, il serait choquant que celui-ci puisse bénéficier d'un parachute doré! Le principe essentiel des bonus est qu'ils doivent fonctionner à la baisse comme à la hausse.

  • Votre attaque contre Londres, «paradis du blanchiment» en raison de la faible régulation de ses trusts, reste-t-elle d'actualité?

  • Ce n'était pas une attaque. Mes allégations de l'époque se basaient sur un rapport de Transparency International UK. La situation n'a pas changé. Je reste convaincu que les processus de contrôle anti-blanchiment en Suisse sont exemplaires et qu'il est plus facile de blanchir de l'argent dans d'autres places financières du globe. Citez un cas de demande d'entraide judiciaire internationale qui ait abouti en Angleterre.

  • Avec l'arrivée d'Angela Knight à la tête de l'Association des banques britanniques, l'atmosphère va-t-elle se réchauffer entre vos deux places rivales?

  • Il n'y a jamais eu de guerre. Nous avons tout intérêt à bien nous entendre, car les banques suisses sont de gros acteurs sur la place de Londres, tout comme les banques britanniques en Suisse - HSBC est la deuxième banque étrangère en Suisse. L'ASB se rend quatre fois par an à Londres pour entretenir ces contacts.

  • Londres n'est-elle pas en position de faiblesse avec la possible arrivée de Gordon Brown, hostile à l'industrie offshore, dans la fonction de premier ministre?

  • L'actuel chancelier n'est certes pas perçu comme favorable à tous les intérêts de la City. Mais vis-à-vis de l'étranger, il défend à tout prix sa place financière, même si c'est pour des thèses très différentes de celles des banquiers. De temps en temps, il semble que la Suisse ne défende pas assez les intérêts de la place financière à l'étranger. Notre paysa donc beaucoup à apprendre du pragmatisme anglais.

  • Que pensez-vous de la décision de UBS et de Credit Suisse de ne pas traiter avec Cuba, l'Iran, la Syrie et le Soudan? Ne s'alignent-elles pas trop sur la vision américaine?

  • Je ne commente pas les politiques commerciales des banques individuelles. Chaque banque a le droit de refuser de faire des affaires avec un client. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut se laisser imposer des politiques de l'extérieur. Lors de la récente visite d'un haut fonctionnaire du Treasury américain, venu démontrer le bien-fondé de ne pas traiter avec les «Etats voyous», nous avons signalé que cette politique pourrait avoir ses limites: Iran Air, par exemple, utilise des avions qui atterrissent en Suisse. Son personnel en Suisse n'est-il pas payé?

  • Lors de votre discours très remarqué à la dernière Journée des banquiers, vous aviez déclaré que les banques ne devraient pas justifier les tarifs de leurs prestations comme les coiffeurs et les cafés. Pourquoi donc?

  • Il faut rappeler le contexte. Il est bien sûr évident que chaque banque se doit de justifier tous ses frais à ses clients. Je suis l'avocat d'une grande transparence au plan des frais.

Mais il faut éviter les dérapages. Il serait absurde que les banques affichent sur leur porte d'entrée les tarifs qu'elles appliquent. Dans le cas des coiffeurs et des cafés, il existe une entente implicite sur les prix, réglée par le marché certes, mais qui débouche sur des prix plus ou moins similaires. Ce n'est pas le cas dans les banques, car elles peuvent se permettre d'avoir des tarifications différentes selon le niveau de service qu'elles offrent.

  • Suite à l'affaire Swissfirst, êtes-vous favorable à l'idée de Hans-Rudolf Merz d'étendre la définition du délit d'initié?

  • Nous demandons depuis longtemps que le fameux article du Code pénal 161 bis soit modifié. Le Conseil fédéral devrait publier le message jusqu'à la fin de l'année. En parallèle, le projet de circulaire de la CFB sur les «comportements abusifs sur le marché» qui veut étendre le champ de l'usage abusif d'informations confidentielles au-delà de celui couvert par l'art. 161 fait son chemin.

  • Et que pensez-vous de la recommandation du GAFI de faire du délit d'initié un acte préalable au blanchiment?

  • Nous estimons que ce serait problématique. Entendons-nous bien, je ne défends pas le délit d'initié. Mais ce n'est pas un crime au même titre que le trafic de drogue. C'est un abus.