Hans-Ulrich Müller: Au-delà du travail quotidien, nous cherchons tous à donner un sens à notre vie. J'ai discuté avec mon fils de 20 ans, qui n'est pas tendre avec les failles du système. Et ce dernier en a! Aujourd'hui, la Suisse lutte pour conserver ses emplois. Les PME en créent davantage que les grandes entreprises, mais comme fournisseurs, elles sont soumises à une forte pression sur leurs prix, poussées à produire à l'étranger. J'ai donc eu l'idée de créer une structure légère dont l'objectif est d'encourager les entreprises qui créent et assurent l'avenir des places de travail en Suisse.
– La première manifestation concrète du SVC a été d'attribuer un Prix de l'entreprise pour l'Espace Mittelland en 2003. Qu'est-ce qui le différencie des autres distinctions du même genre?
– Beaucoup de prix se concentrent sur les start-up. Mais les PME qui ont du succès sur la durée n'obtiennent pas l'attention qu'elles méritent de la part du monde politique et des médias. Or il est plus difficile de se renouveler que de créer quelque chose de neuf. Il arrive trop souvent en Suisse qu'on arrête les activités d'une société rencontrant des difficultés momentanées, au moment d'une succession par exemple, alors qu'elle a du potentiel à plus long terme. On peut toujours s'améliorer, c'est ma conviction profonde. J'ai voulu le montrer en racontant des histoires, celles de PME qui ont réussi. Je désirais que leur patron, leurs employés, leurs fournisseurs ou leurs clients soient fiers de cette réussite. Alors je me suis lancé avec mon argent et en sollicitant quelques sponsors qui ont très vite répondu présent.
– Quel a été l'écho du premier Prix de l'entreprise Mittelland?
– Extraordinaire! Six cents personnes sont venues au Casino de Berne, les gens faisaient la queue, les six PME nominées ont eu des retombées très positives, parfois inattendues: le propriétaire qui louait les locaux à l'une d'entre elles a eu la curiosité, pour la première fois, de voir ce qu'elle faisait… Je me suis dit que cela correspondait vraiment à un besoin. L'année suivante, il y avait 1200 invités pour la remise du prix, cette année 1500. Nous avons décidé de distribuer des distinctions similaires dans sept grandes régions. En Suisse orientale il y a peu, et le 19 mai prochain en Suisse romande pour la première fois.
– Vous vous engagez à titre personnel. Comment réagit votre employeur, le Credit Suisse?
– Mon activité bénévole au Swiss Venture Club est effectivement prise sur mon temps libre, la banque a réagi très positivement et a été un de nos premiers sponsors. Mais pour moi, le Prix de l'entreprise n'est qu'une pièce d'un puzzle qu'il faut compléter. Je veux encourager le réseautage des PME, montrer qu'il existe des solutions en Suisse pour investir dans des bonnes idées.
– C'est tout de même paradoxal: directeur pour la clientèle entreprises d'un des deux grands instituts de crédit en Suisse, vous devez créer une structure parallèle afin d'encourager le financement des PME! Et les banques alors?
– Sur le fond, je partage en partie votre remarque. Historiquement, le crédit était le premier métier des banquiers, leur colonne vertébrale. Aujourd'hui, ils se focalisent sur le private banking, ils ne veulent plus prendre autant de risques. C'est un problème plus général. Nous sommes devenus un pays de rentiers. Nous voulons que notre fortune augmente un peu, pas trop – surtout éviter de la perdre. Nous sommes devenus conservateurs, bloqués. J'aimerais débloquer cette situation. Si nous ne faisons rien, nous allons perdre notre niveau de vie, et plus vite que nous ne le pensons.
– Bon, mais les banques dans tout ça?
– Elles ont commis beaucoup d'erreurs à la fin des années 80, finançant parfois n'importe quoi, ce qui leur a coûté globalement quelque 50 milliards de francs. On peut comprendre qu'elles aient mis du temps à s'en remettre. Dorénavant, leurs employés de terrain discutant avec la clientèle des entreprises sont adossés à des unités qui calculent impitoyablement le coût du risque engendré par chaque crédit. Heureusement pour tous ceux qui confient leur argent à la banque, d'ailleurs! On oublie trop souvent quelle part insignifiante les fonds propres de la banque représentent dans l'octroi des crédits: moins de 10%. Le reste est financé par les fonds que confie la clientèle. La banque ne peut assumer le risque lié au capital. Son devoir est le financement à court et moyen terme par des fonds de tiers. J'observe à ce sujet que notre établissement n'a enregistré aucune diminution des limites de crédits aux PME ces cinq dernières années. Si certains prétendent – à tort – le contraire, c'est que les statistiques mélangent les crédits aux PME et aux grandes entreprises. Et la demande des secondes a sensiblement diminué, car elles ont achevé une phase de restructuration et utilisent leur surplus de liquidités non pour investir, mais amortir des crédits bancaires.
– Si les banques n'ont pas pour vocation d'assumer le risque lié au capital d'une PME, comment financer ses projets de développement?
– C'est le cœur du problème. De nombreuses PME ont un bon potentiel de rentabilité mais n'arrivent pas à financer leur croissance.
– Sur quelles bases une banque accorde-t-elle un crédit?
– Grosso modo, elle situera son montant de crédit en blanc sur la base de trois critères, dont deux doivent être remplis: environ 50% des fonds propres, 25% du chiffre d'affaires ou quatre fois le cash-flow. Souvent, les PME manquent cruellement de fonds propres pour soutenir leur croissance. Le SVC veut faciliter leur accès à de nouvelles sources de financement, par exemple les prêts post-posés sous la forme de capital mezzanine.
– Comment fonctionne ce mécanisme?
– Le capital mezzanine (tiré du mot italien signifiant «entresol») se situe entre les fonds propres et les fonds étrangers. Au niveau juridique et comptable, il s'apparente aux seconds, tandis qu'il peut être assimilé à des fonds propres d'un point de vue économique. Ce type de financement est particulièrement bien adapté pour des entreprises à bonnes capacités bénéficiaires – celles qui veulent grandir, ou traversent une phase de succession. En revanche, il n'aide pas celles qui stagnent. Le capital mezzanine a en effet un prix: en raison de son post-positionnement, il comporte un risque plus élevé que le crédit bancaire, qui doit être compensé par une rémunération plus élevée.
– Pourquoi les banques ne constituent-elles pas un fonds de capital mezzanine?
– Les financements mezzanine ne sont pas rentables selon les exigences en fonds propres dictées par les accords de Bâle I et II. De plus, les banques se retrouveraient en conflit d'intérêt entre le financement en crédits classiques et crédits mezzanine lorsqu'un débiteur ne parvient plus à assumer le service de sa dette.
– Les banques restant hors-jeu, qui peut mettre de l'argent à disposition?
– C'est un fait que le capital mezzanine est actuellement peu développé en Suisse. Le Swiss Venture Club souhaite agir comme interface et «facilitateur» à des conditions concurrentielles pour les PME intéressantes et les investisseurs institutionnels. Les banques, aussi, pourraient jouer ce rôle de «facilitateur», et je m'y emploie. Je n'ai jamais senti le climat plus favorable qu'aujourd'hui à un tel projet.
– L'Association suisse des banquiers ne semble pas convaincue de sa nécessité.
– Moi, oui. Il faut bien sûr que le revenu de ce financement soit adapté au risque. Je crois que le moment est mûr.
– Politiquement, quel est l'accueil?
– J'ai parlé au Secrétariat à l'économie, devant différentes commissions, proposé des déductions fiscales pour des financements de type mezzanine. L'accueil est poli, intéressé, mais franchement, cela ne va guère au-delà pour l'instant. On se contente de retoucher les conditions-cadres, on se limite au cautionnement. Il faut faire pression sur les politiciens! Pourquoi les fonds de pension ne consacreraient-ils pas un demi-pour-cent de leur capital au financement mezzanine? On pourrait commencer avec une somme de 100 millions de francs, 200 millions serait idéal.
– A quand le premier fonds de capital mezzanine en Suisse?
– Je suis convaincu qu'il sera sur pied dans douze mois.