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L'invité. Le fédéralisme est-il en partie responsable de la baisse de compétitivité du pays? (I)

Ces deux termes sont-ils en relation de cause à effet, en synergie

Ces deux termes sont-ils en relation de cause à effet, en synergie positive, ou doit-on les opposer en remplaçant le «et» par le «ou»? La question s'impose: quelle est l'efficience d'un appareil d'Etat constitué de 27 constitutions, 27 systèmes législatifs et réglementaires, 27 parlements, 27cours suprêmes, 27 gouvernements soit environ 140ministres et ministères? Pour gérer une communauté proche par la taille de celle de la ville de Paris, la Suisse institutionnelle n'est-elle pas devenue une armée d'opérette où il y a plus de généraux que de soldats? Le Conseil fédéral lui-même pose un diagnostic alarmant au début de son message du 14 novembre 2001 sur la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT):

«Le fédéralisme, l'un des principes fondamentaux de la Constitution fédérale […], tend à perdre de sa substance depuis plusieurs décennies. Une centralisation rampante a progressivement limité l'autonomie décisionnelle et le champ d'action des cantons, tandis que les compétences attribuées à la Confédération s'accroissaient – y compris dans des secteurs qui relèvent par leur nature des cantons. […] Le fédéralisme est en bien mauvaise posture.».

L e mot est donc lâché: le fédéralisme est-il devenu une fiction, un fantôme? Les cantons sont-ils devenus des marionnettes, dont les fils sont tenus non pas seulement par les responsables politiques fédéraux mais surtout par un dispositif juridico-financier si complexe que tout ce qui ressortit à la vie publique est irrémédiablement enchevêtré? L'édifice fédéraliste subit de longue date un processus de désacralisation, une érosion continue et rampante des anciennes prérogatives cantonales. C'est ainsi que l'on a assisté progressivement à la disparition du fédéralisme en matière de procédure pénale, à l'affaiblissement du fédéralisme fiscal par l'harmonisation formelle et la péréquation financière, à la quasi-disparition du fédéralisme militaire, à l'euthanasie douce du fédéralisme universitaire et au meurtre prémédité du fédéralisme de la santé publique.

Du point de vue de la théorie générale, les arguments le plus souvent relevés en faveur de la centralisation sont les suivants: meilleure efficacité économique; redistribution des revenus; économies d'échelle; l'Etat central peut tenir compte des effets de débordement («Spill over») engendrés par la production d'un bien public dans une collectivité locale; pénurie de dirigeants qualifiés pour assumer plusieurs niveaux de gouvernement.

A l'inverse, les avantages de la décentralisation ou du fédéralisme sont décrits en général comme suit:

– Adaptabilité de l'offre: préférences locales mieux servies; meilleure compréhension des vœux des électeurs; meilleur contrôle démocratique des administrations publiques: «contrôle de proximité»; plus grande efficacité; lien plus étroit entre les décisions budgétaires et leur financement. Cela crée ou accroît la responsabilité budgétaire.

Un auteur souvent cité et qui fait autorité, Tiebout, démontre qu'un Etat centralisé n'est pas en mesure de déterminer la quantité optimale et le prix (impôts) des prestations publiques qu'il fournit à ses administrés. Il en résulte une perte d'efficience dans l'allocation des ressources. Ce problème est en partie résolu si un pouvoir de décision est délégué à des entités fédérées, ou tout au moins décentralisées. Chaque individu choisit alors la collectivité caractérisée par une offre de service public et un niveau d'impôts correspondant à sa demande particulière. En d'autres termes, la mobilité géographique agit comme un révélateur des préférences individuelles des contribuables consommateurs. On parle dans ce cas de «vote avec les pieds». Cette concurrence fiscale entre collectivités se traduit par des services publics efficaces et conformes aux préférences des citoyens.

Un autre scientifique, Weingast, voit dans la décentralisation une garantie contre le pouvoir confiscatoire de l'Etat (théorie dite du «Market-Preserving Federalism»). Partant de l'idée qu'un Etat assez fort pour exercer ses fonctions de base est aussi assez fort pour confisquer la richesse privée, le fédéralisme est perçu comme un remède contre d'éventuels abus des gouvernants. La concurrence entre entités décentralisées assure qu'aucune d'entre elles ne puisse faire usage d'un pouvoir confiscatoire.

Quant à l'efficience du modèle helvétique, quelques faits et chiffres marquants:

– La Suisse occupe le huitième rang selon le dernier rapport sur la compétitivité du Forum économique de Davos, derrière la Finlande, les Etats-Unis d'Amérique, la Suède, Taïwan, le Danemark, la Norvège et Singapour et devant le Japon, l'Islande, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Australie, le Canada et les Emirats arabes unis.

– Si l'on compare l'évolution de la dette par rapport au PIB de 1990 à 2005, en se référant aux mêmes données pour des pays comparables, on constate que la Suisse passe de 29,9% à 55, 5%, tandis que la Belgique se désendette en passant de 129,5% à 98,4% de même que l'Irlande qui passe de 94,3% à 30%. L'Autriche, quant à elle, évolue dans un sens négatif mais moins fort que la Suisse en passant de 57,2% à 65,3%.

– Si l'on compare dans la même période l'évolution de la part des dépenses publiques par rapport au PIB, ce qu'il est convenu d'appeler la quote-part de l'Etat, on constate que la Suisse passe de 31,5% à 38,8%, tandis que la Belgique descend de 53,4% à 49,5%, l'Irlande de 43,2% à 34% et l'Autriche de 51,6% à 49,4%.

– Enfin, si l'on compare les quotes-parts fiscales de ces quatre mêmes pays de 1990 à 2003, ce qui englobe non seulement les redevances fiscales mais également les prélèvements au titre des assurances sociales, la Suisse passe de 26% à 29,6%, la Belgique de 43,2% à 45,8%, l'Irlande de 33,5% à 30% et l'Autriche de 40,4 à 43%.