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L'invité. L'étonnante faiblesse du débat sur les dépenses publiques de santé

L'invité.

Les dépenses publiques de santé, incluant les soins de santé traditionnels et les soins de fin de vie, sont une source majeure de pression budgétaire pour la plupart des pays de l'OCDE. Il est généralement avancé que la taille et la structure par âge de la population des pays européens ou de l'OCDE devrait conduire à des changements importants dans les dépenses publiques. Les facteurs explicatifs sont la baisse des taux de fécondité, l'accroissement régulier de l'espérance de vie et le départ à la retraite de la génération baby-boom. Ce constat est justifié mais insuffisant. Par ailleurs, alors même que la plupart des pays de l'OCDE se sont engagés sur la voie des réformes de système de retraites et ont cherché à en quantifier l'ampleur des enjeux, il n'en va pas de même pour les dépenses publiques de santé et le débat reste atone. Dès lors, faut-il s'en inquiéter? Quels sont les arbitrages futurs? Quelles réformes faut-il envisager?

P lusieurs rapports sont venus alimenter le débat économique. Ainsi, l'OCDE met en avant une évolution notable, toutes choses égales par ailleurs, de la part des dépenses publiques de santé dans le PIB, qui conduirait en moyenne à une hausse de 6,7% en 2005 à 10,2% en 2050. En Suisse, le scénario de référence indique une augmentation de cette part de 7,5% à 9,5%. Il conviendrait d'y rajouter la part des dépenses privées de santé, qui n'est pas prise en compte dans ces études mais qui est loin d'être résiduelle dans nombre de pays, notamment en Suisse. Si l'on décompose maintenant ces dépenses publiques en soins de santé traditionnels et soins de santé de fin de vie, la seconde composante montre l'évolution la plus marquée pour la plupart des pays de l'OCDE. Pour mettre en valeur ces chiffres, il convient de rappeler que sur l'ensemble de la période 1981-2002, les dépenses publiques totales de santé par tête ont augmenté en moyenne de 3,6% par an dans les pays de l'OCDE. En 2003, selon l'OFS, les coûts du système de santé se sont élevés à 50 milliards de francs en Suisse, soit 11,5% du PIB (en incluant les dépenses privées). Seuls les Etats-Unis présentent un taux supérieur à la Suisse. Ici l'essentiel consiste à identifier les raisons de cette croissance.

Le premier facteur est lié à la démographie et notamment au vieillissement de la population.

Alors que ce dernier n'explique généralement sans surprise qu'une faible part de la progression des dépenses de santé en analyse rétrospective, le constat n'est plus le même en analyse prospective. En effet, les facteurs démographiques représentent moins de la moitié de l'évolution des dépenses pour les dépenses publiques de soins traditionnels, mais expliquent la majeure partie de l'évolution des soins à long terme. Pour autant, faut-il en conclure que la hausse des dépenses ne serait pas soutenable et que tout effort de maîtrise des coûts serait vain si l'on suit la rhétorique du vieillissement? Assurément non, si l'on analyse soigneusement le rôle de la variable âge. En effet, l'âge est souvent perçu comme un élément clé du débat alors même qu'il n'est pas un facteur causal de ces dépenses. Dans le même temps, l'âge est très corrélé à des facteurs directs: par exemple, la morbidité. Un examen des dépenses de santé montre d'ailleurs que les dépenses augmentent à proximité de la fin de vie. L'argument qui consiste alors à supposer un profil des dépenses par âge constant et une population croissante conduit nécessairement à la conclusion alarmiste suivant laquelle les dépenses de santé exploseront dans les années à venir. Au contraire, si l'on remarque que le changement du profil de dépenses par âge tend à se déplacer dans le temps en fonction des gains de longévité, la pression de l'évolution de la démographie sur les dépenses de santé est beaucoup moins importante.

Si l'on s'intéresse maintenant aux facteurs non démographiques, les deux principaux vecteurs de coûts sont l'augmentation des revenus et les dépenses de technologie médicale. D'un côté, si l'ensemble de ces projections conclut à la hausse indéniable des dépenses de santé, ces études n'en oublient pas de souligner que la croissance devrait générer une redistribution des revenus et induire une augmentation du revenu par tête. Cette hausse du revenu se traduirait par une hausse des revenus de l'Etat qui contrebalancerait l'augmentation des dépenses. Dans le même temps, dans une perspective de croissance molle ou séculaire, la hausse des recettes ne devrait pas suffire à compenser la hausse des dépenses. Ceci se traduit par le fait que l'élasticité revenue, c'est-à-dire le taux de croissance des dépenses publiques par rapport à celui du PIB, est généralement supérieure à un au niveau macroéconomique, suggérant que la santé est un bien de luxe dans le jargon économique.

D'un autre côté, l'importance et les effets du progrès restent difficiles à quantifier. Si l'apport du progrès technologique est bien entendu essentiel et souhaitable, le débat sur les coûts et leurs prises en charge est d'une autre nature. Certes, si le coût par unité d'un nouveau traitement ou de l'imposition d'une nouvelle technologie diminue dans le temps, le coût initial demeure plus élevé que pour les technologies ou traitements existants, ce qui conduit, ceteris paribus, à un accroissement de la dépense totale. Cet argument néglige injustement le confort apporté aux patients, la réduction des durées d'hospitalisation, la meilleure prévention, la répartition du progrès technique pour toutes les tranches d'âge, etc. La question des remboursements et de la prise en charge de certains traitements est cependant souvent prévalente et il est alors impossible de dissocier ce débat de celui de l'accès aux soins.

In fine, ces éléments nous montrent que les dépenses publiques (et privées) de santé restent un sujet primordial du débat économique. Il est d'ailleurs étonnant de remarquer que la plupart des pays de l'OCDE ont engagé des réformes pour les retraites et ont laissé de côté, pour l'instant, le problème du financement des dépenses de santé. Il est donc crucial de comprendre les évolutions des dépenses de santé dans les années à venir, d'axer le débat pas seulement sur les facteurs démographiques mais aussi sur le progrès technique, et d'élaborer des outils d'analyse permettant de répondre aux enjeux à venir et à la formulation de politiques économiques de la santé.