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L'ire des marchés financiers laisse le gouvernement anglais de marbre

La première ministre britannique ignore les critiques aux mesures budgétaires annoncées la semaine passée. Il a fallu l’intervention d’urgence de la Banque d’Angleterre mercredi pour calmer la tempête

La première ministre britannique, Liz Truss, a minimisé jeudi la tourmente financière  suite aux mesures économiques annoncées par son ministre des Finances il y a une semaine. Il a fallu une forte intervention de la Banque d'Angleterre pour calmer le marc — © Toby Melville / keystone-sda.ch
La première ministre britannique, Liz Truss, a minimisé jeudi la tourmente financière suite aux mesures économiques annoncées par son ministre des Finances il y a une semaine. Il a fallu une forte intervention de la Banque d'Angleterre pour calmer le marc — © Toby Melville / keystone-sda.ch

«Merci pour vos remarques mais tout va bien.» C’est en substance la réplique donnée jeudi par le gouvernement britannique au Fonds monétaire international (FMI); la veille, l’institution financière dont la tâche est de venir en aide aux économies malades avait critiqué les mesures annoncées vendredi par le ministre des Finances Kwasi Kwarteng dans le cadre d’un mini-budget pour donner une impulsion à la consommation et à l’activité. Le FMI, qui n’a pourtant pas la réputation de prendre à partie les Etats aussi ouvertement, avait exhorté Londres à revoir sa copie.

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«J’ai vu les commentaires du FMI et je suis respectueusement en désaccord avec eux, a lancé jeudi le secrétaire en chef du Trésor Chris Philp sur la chaîne de télévision SkyNews. La réponse qui m’intéresse est plutôt celle de nos organisations d’entreprises qui représentent l’économie. Elles l’ont toutes salué.» Et d’ajouter: «Je ne vais pas m’excuser d’avoir un plan de croissance qui permettra d’augmenter les salaires des gens.»

Une économie aux abois, comme en 1976

Arthur Jurus, stratège senior pour le groupe ODDO BHF en Suisse, rappelle que le FMI était venu en soutien à Londres en 1976 lorsque l’économie britannique était aux abois. Selon lui, les critiques exprimées jeudi font écho aux mêmes problèmes qu’alors: forte inflation qui pénalise le pouvoir d’achat, déficit de la balance courante qui affaiblit la livre sterling et déficit public qui réduit la solvabilité de la dette nationale. Arthur Jurus fait aussi remarquer que l’évaluation critique de l’évolution des fondamentaux financiers met le Royaume-Uni dans la même catégorie qu’un pays émergent.

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A ce propos, l’agence de notation Moody’s a averti mercredi des risques de dégradation de la dette britannique. En 2019, celle-ci montait à 85% du produit intérieur brut (PIB); à présent, elle a grimpé à 100%. Et elle risque de s’aggraver avec les nouvelles mesures fiscales.

Force est de constater que c’est l’ensemble du gouvernement britannique qui a adopté une posture défensive depuis vendredi dernier alors même que les marchés ont rejeté avec force les nouvelles mesures budgétaires. A commencer par la première ministre Liz Truss qui a juré de tenir jusqu’au bout. Au pouvoir depuis à peine trois semaines, la successeure de Boris Johnson a fait une tournée des radios locales jeudi matin, assumant chaque fois les mesures «controversées et difficiles».

Décisions difficiles et controversées

Le plan qui provoque la tempête comprend des aides aux ménages face à la flambée des prix, notamment de l’énergie et une réduction massive des taxes au profit des plus riches, le tout financé par la dette. «Nous devions mener une action décisive pour aider les gens pour cet hiver et le suivant, a défié Liz Truss sur la BBC. Nous devions prendre des mesures urgentes pour faire croître notre économie, faire avancer le Royaume-Uni, et aussi faire face à l’inflation.» Et d’affirmer: «Cela veut dire prendre des décisions difficiles et controversées, mais je suis prête à le faire en tant que première ministre. Ma préoccupation est que les travailleurs ne perdent pas leur emploi.»

A qui veut l’entendre, Liz Truss fait valoir que «la turbulence a été provoquée par la guerre en Ukraine et qu’il ne s’agit pas d’un fait nouveau. Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays qui se retrouve en difficulté. Nous sommes dans une crise globale.»

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Evaluées par les économistes entre 100 et 200 milliards de livres, mais dont le financement et l’impact restent flous et non chiffrés par le gouvernement, les mesures annoncées ont semé le trouble sur les marchés. La livre sterling continue à dévisser face aux principales monnaies. Elle est brièvement passée lundi sous le seuil symbolique de 1,09 dollar, s’approchant de son plus bas historique.

Le marché obligataire est également secoué. Le rendement des obligations d’Etat à 30 ans est passé de 1% au début de septembre à 5% vendredi dernier, avant de descendre à 4% jeudi. Une baisse provoquée selon lui par la décision prise d’urgence mercredi par la Banque d’Angleterre d’acheter 5 milliards de dettes par jour pendant deux semaines. «C’est positif, mais il peut devenir insoutenable dans la durée», commente-t-il.

Le parlement britannique en vacances

Selon Arthur Jurus, la Banque d’Angleterre peut encore, face à l’inflation qui touche la barre des 10%, augmenter le taux d’intérêt de référence. «Sa prochaine réunion est agendée au 3 novembre, mais il est fort probable qu’elle soit appelée à agir hors du calendrier officiel, pressent-il. Le marché s’attend à une hausse substantielle, à 4% contre 2,25% à présent.»

Le FMI n’est pas le seul à douter de la politique du gouvernement Truss. Cité par l’AFP, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney estime que le fait d’avoir un budget partiel, dans ces circonstances – économie mondiale difficile, position difficile sur les marchés financiers – a conduit à des mouvements spectaculaires sur les marchés financiers.

Quant au nouveau chancelier de l’Echiquier Kwasi Kwarteng, il est resté silencieux ces derniers jours. Il a tout de même promis des mesures plus détaillées en novembre. Face à l’ampleur de la crise, les appels se multiplient dans la classe politique pour rappeler immédiatement les députés à Westminster. Ils sont actuellement en vacances.