L'Italie prend le risque de mettre en place un déficit à 2,4% du PIB
Italie
Le M5S et la Ligue ont gagné la partie: le déficit public atteindra 2,4% en 2019, alors que le précédent gouvernement de centre-gauche visait 0,8%, et le même chiffre en 2020 et 2021

La coalition populiste au pouvoir en Italie, en décidant d'un déficit à 2,4% du PIB sur les trois prochaines années, a pris le risque d'un vif conflit avec la Commission européenne mais aussi d'une flambée des marchés financiers. Au terme d'un dur et long bras de fer avec le ministre modéré des Finances, Giovanni Tria, qui plaidait pour un déficit à 1,6% pour éviter toute tension, le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisytème) et la Ligue (extrême droite) ont obtenu gain de cause.
Le déficit public atteindra 2,4% en 2019, alors que le précédent gouvernement de centre-gauche visait 0,8%, et le même chiffre en 2020 et 2021.
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L'accord a provoqué l'allégresse du M5S, qui a festoyé jeudi soir à Rome, et de la Ligue, qui estimaient nécessaire de pouvoir appliquer leurs promesses électorales, au premier rang desquelles un revenu de citoyenneté de 780 euros pour les plus démunis, un système de retraites plus généreux et une réforme fiscale. La première mesure concernera 6,5 millions de personnes et la seconde environ 400 000.
Un projet de budget qui ne fait pas l'unanimité
Mais ce projet de budget, qualifié de «raisonnable et courageux» par le chef du gouvernement Giuseppe Conte, a été vivement dénoncé par les autres forces politiques du pays.
Le gouvernement expose «le pays à des risques incroyables en portant le rapport déficit/PIB au-delà de 2%. Tout cela pour financer un programme d'assistance: et maintenant l'Italie voit le gouffre», a fustigé une dirigeante de Forza Italia (le parti de Silvio Berlusconi), Mariastella Gelmini.
Même stupéfaction du côté du directeur de l'Observatoire des comptes publics de l'Université Cattolica et ancien responsable du Fonds monétaire international (FMI), Carlo Cottarelli, qui estime qu'avec un tel niveau de déficit, les finances publiques italiennes vont «s'affaiblir» puisque l'Etat va financer les réformes «non avec des impôts, mais en empruntant» encore.
Des enjeux politiques
Or, l'Italie ploie déjà sous une dette de 2 300 milliards d'euros, ce qui représente quelque 131% de son PIB, le ratio le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce. Dans ce contexte, obtenir le feu vert de la Commission européenne, qui pestait déjà à chaque budget italien malgré des chiffres nettement moindres, «sera plus qu'un défi», a souligné Jack Allen, analyste à Capital Economics, jugeant «peu probable» qu'elle le fasse.
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Rome risque par ailleurs une nouvelle flambée du «spread», l'écart très surveillé entre les taux d'emprunt italien et allemand, qui avait dépassé 300 points en mai en raison d'inquiétudes sur la politique à venir. Or, plus les taux grimpent, plus le coût de remboursement augmente pour l'Etat, ce qui réduit ses marges de manoeuvre financière.
Interrogé sur d'éventuelles réactions négatives sur les marchés, Luigi Di Maio, qui est aussi ministre du Développement économique, a assuré que le chiffre de 2,4% était public «depuis plusieurs jours». «Nous expliquerons aux marchés qu'il y aura tellement d'investissements en plus et que nous pourrons ainsi faire croître l'économie comme nous le voulons», a-t-il dit.
Avec des sondages en baisse, c'était le M5S qui avait le plus à perdre en cas de renoncement. La Ligue, portée par les discours anti-immigration et sécuritaires de Matteo Salvini, ne cesse, elle, de grimper. C'est désormais le premier parti du pays avec quelque 32% des intentions de vote contre 17% en mars.
Même si Luigi Di Maio a assuré que Giovanni Tria ne démissionnerait pas, «sa crédibilité en a pris un coup», estime Jack Allen, alors qu'il n'avait eu cesse de tenter de rassurer les marchés.