Une diminution de 140 emplois, soit 5% de ses effectifs. Annoncés vendredi par Logitech, ces chiffres donnent une première idée de la nouvelle restructuration que traversera le fabricant de périphériques informatiques. Fin janvier, la firme basée à Morges et Newark (Californie) avait esquissé une réorientation stratégique, sans donner de chiffre. Vendredi, Logitech a apporté des précisions. Les premiers employés touchés ont été informés jeudi. Pour l’heure, la société refuse de préciser la répartition géographique des per­sonnes licenciées. Au niveau mondial, Logitech compte actuellement 9000 employés – en incluant ses usines en Chine –, dont quelque 230 en Suisse, selon nos estimations. En 2012, la société avait déjà supprimé 36 postes en Suisse – sur ses sites de Morges et d’Ecublens (VD) – et environ 450 au niveau mondial, soit 13% des effectifs.

Avec ce nouveau train de mesures, l’entreprise veut réduire ses coûts de 16, voire 18 millions de dollars pour son exercice 2014. En 2012, l’objectif avait été d’économiser 80 millions.

Lors de son dernier trimestre, Logitech a perdu 195 millions de dollars. Certes en partie à cause d’un événement exceptionnel. Reste que le résultat opérationnel a été divisé par deux et le chiffre d’affaires a baissé de 14%.

Au cœur de la nouvelle réorganisation se trouve un Américain, Bracken Darrell. Il est désormais l’homme fort de Logitech. Ancien cadre de Whirlpool, il en a repris seul la direction au 1er janvier, après neuf mois de tandem avec Guerrino De Luca. Rencontré il y a quelques jours sur le site de l’EPFL, dans une salle du Daniel Borel Innovation Center – du nom du cofondateur de l’entreprise –, Bracken Darrell s’assied autour de la table centrale, plusieurs iPad posés devant lui. Et détaille ce que sera le futur Logitech.

Le Temps: Vu vos derniers chiffres et la nouvelle restructuration qui s’annonce, certains craignent que Logitech ne finisse tout simplement par disparaître… Qu’en pensez-vous?

Bracken Darrell: Nous avons certes perdu 195 millions de dollars au dernier trimestre, mais c’était dû à une dépréciation de 200 millions de l’une de nos acquisitions. Mais nous détenons plus de 300 millions en cash, n’avons aucune dette, et disposons d’une ligne de crédit de 150 millions. Nous n’allons pas disparaître. Ce qui est important, c’est que nous agissions rapidement, avec le bon sentiment d’urgence, pour recréer l’entreprise. Il ne s’agit pas de survivre, mais de réussir. Logitech était très centré sur le PC à ses débuts, puis nous avons créé des satellites, avec les télécommandes, puis nous sommes entrés dans le business de la sécurité et celui des caméras pour vidéoconférences. Logitech doit désormais se réinitialiser: nous ne pouvons plus nous disperser dans trop de secteurs. Le marché informatique continue à croître avec l’explosion des tablettes, mais nous ne voulons plus «périphéraliser» tous les appareils. Nous allons quitter les activités non profitables et nous concentrer sur l’ordinateur et les appareils mobiles, tablettes et smartphones.

– Pourtant, les télécommandes Harmony, que vous avez rachetées il y a cinq ans, sont presque vues comme le seul domaine où Logitech a été innovant ces dernières années…

– Les télécommandes multifonctions pour salon Harmony peuvent avoir beaucoup de succès. Cependant, ce marché est très complexe. Nous pouvons relever ce défi. Mais je ne suis pas certain que nous le devions. Nous devons avoir du succès dans le business de la mobilité, des PC aux tablettes et ordinateurs portables. Nous ne voulons pas être distraits et rester concentrés. Les télécommandes ne sont ni profitables, ni en croissance. Pourquoi nous embêter avec elles?

– Vous aviez mentionné en janvier un «Logitech 2.0». Concrètement, quel sera le nouveau profil de la société?

– Elle sera plus rapide, plus petite, et plus flexible. Logitech sera concentrée sur les périphériques du PC (y compris les Macs), pour maximiser les profits.

– Les dirigeants de Logitech tiennent depuis deux ans le même discours sur la mobilité et les tablettes… Sans que rien de nouveau ne se passe vraiment du côté de vos produits.

– Il y a deux ans, nous avons acheté ce produit (il montre un clavier-coque pour iPad, ndlr) pour le revendre sous notre marque. C’était un bon produit, mais ce n’était pas le nôtre. En mai 2012, nous avons lancé cet autre clavier (il en brandit un autre, ndlr), qui a nécessité treize mois de développement en interne.

– Treize mois pour un clavier…

– Attendez. Cela a été un grand succès. C’est notre produit le plus vendu. La semaine passée, nous avons présenté ce clavier pour iPad mini. Développé en trois mois. Et à l’avenir, nous pouvons descendre à trois ou quatre semaines de développement. Il y a donc un immense changement pour la création de nos produits, qui irradie toutes nos futures gammes.

– Vous parlez de ces claviers. Mais ce ne sont pas vraiment des concentrés de haute technologie… Allez-vous surprendre vos clients avec des produits étonnants?

– Tout le monde fait des souris, des caméras, des claviers… Et nous sommes numéro un dans ces trois marchés. Il y a beaucoup de technologie et de savoir-faire dans ces produits pour les rendre meilleurs que les autres. Prenez ce clavier: les sensations pour écrire sont fantastiques, et nous avons créé un clavier complet sur ce si petit espace. Nous continuons à nous améliorer pour préparer la suite. Lorsque l’iPad, disons, de neuvième génération sera lancé, nous serons prêts trois semaines plus tard.

– Votre prédécesseur pratiquait parfois l’autoflagellation après de mauvais résultats. Vous avez vous-même jugé les derniers «inacceptables». Mais ne s’agit-il pas que de rhétorique?

– C’est différent aujourd’hui. Nous vendons deux activités (télécommandes et vidéo­surveillance, ndlr), nous en arrêtons d’autres et nous nous concentrons sur le PC et la mobilité.

– Mais quelles innovations attendre de Logitech?

– Je ne peux pas en dire plus. Mais il n’y a pas que la mobilité. Il y a quatre secteurs très intéressants dans les périphériques pour PC. D’abord les marchés émergents, où les ventes de PC croissent toujours. Ensuite, le jeu sur ordinateur, qui prend sans cesse de l’importance, avec des jeux souvent gratuits. Il y a aussi les communications unifiées, qui permettent d’effectuer par exemple des appels vidéo depuis sa messagerie Outlook. Et enfin le marché du tactile, qui prend de l’ampleur avec le lancement de Windows 8. Touchez ce pavé tactile qui remplace la souris… N’êtes-vous pas enthousiasmé par cela? Un concentré de technologie qui offre une précision parfaite. Et dans ces quatre secteurs, il y a de forts potentiels de croissance. Sur le marché de la mobilité, nous voulons aussi créer des périphériques pour d’autres tablettes que l’iPad.

– Vous venez de montrer trois claviers pour iPad. Quid des accessoires pour ses concurrents?

– Je me demanderais plutôt: «N’avez-vous pas des opportunités au-delà d’Apple?» Et je réponds oui. Mais je ne peux pas encore parler de produits concrets. Sur la totalité des propriétaires d’iPad, très peu achètent des claviers…

– Car ils sont satisfaits du clavier virtuel…

– Peut-être. Mais nos claviers rencontrent un succès croissant, et de nombreux clients achètent, chez nous, un clavier qui fait aussi office de protection pour la tablette.

– Pourriez-vous lancer une souris pour tablette?

– Il est techniquement impossible d’en relier une à l’iPad. Ce sera peut-être le cas à l’avenir. Mais c’est possible avec d’autres tablettes. Donc, à voir… Et le lancement de Surface (la tablette de Microsoft, ndlr) a été un grand succès, avec de nombreuses personnes l’utilisant de manière professionnelle. Ils voudront avoir les mêmes fonctions qu’avec un ordinateur portable et achèteront donc des périphériques.

– Comptez-vous procéder à des acquisitions avec vos réserves de 300 millions?

– Pourquoi pas, mais rien n’est prévu. Nous nous concentrons sur nos activités de base et il est de toute façon exclu d’entrer sur de nouveaux marchés.

– Le marché de la sécurité est en pleine expansion. Même Swisscom y entre pour se diversifier. Pourquoi l’abandonnez-vous?

– Certes, la sécurité est un domaine intéressant et prometteur. Mais si vous vous intéressez à tout, vous vous dispersez et ne faites plus rien de bien.