Transports
Pour atteindre le zéro émission net en 2050, l’aviation suisse mise entre autres sur les carburants alternatifs et l’émergence des avions à hydrogène et électriques. Mais ces technologies sont encore marginales ou en cours de développement

Les émissions de CO2 de l’aviation suisse pour l’année en 2019 se sont élevées à 5,8 millions de tonnes, pour environ 1,8 million de tonnes de carburant utilisées. Soit l’équivalent de 11% des émissions comptabilisées pour le territoire suisse la même année. Ces chiffres, qui ne prennent pas en compte l’aéroport de Bâle-Mulhouse, sont issus de la feuille de route pour une aviation durable publiée mardi par un groupe d’acteurs du secteur. L’objectif affiché par le secteur: atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément à la stratégie climatique du Conseil fédéral.
Lire l'interview d'André Schneider, directeur de l'aéroport de Genève: «La neutralité carbone en 2050 est un défi pour l’ensemble de l’aviation, chacun doit faire sa part»
En février dernier, un document semblable avait été publié à l’échelle européenne. Cette feuille de route ne se concentre pas sur une solution unique, mais met en avant le développement des avions à hydrogène et électriques et des SAF (pour Sustainable Aviation Fuels) ou carburant durable d’aviation pour atteindre son objectif.
Miser sur les carburants alternatifs
Ces carburants présentés comme durables peuvent prendre plusieurs formes, la plus répandue étant les biocarburants issus de l’exploitation de la biomasse ou encore d’huiles usagées. Selon certaines estimations, ces carburants alternatifs pourraient permettre de réduire les émissions de CO2 jusqu’à 80% durant leur cycle de vie. «La production de ces carburants peut entrer en concurrence avec la production alimentaire ou, si l’on utilise de l’huile de palme, participer à la déforestation, met en garde Yves Chatton, spécialiste du domaine aérien de l’Association transports et environnement (ATE). Certaines études montrent que suivant les SAF utilisés, leur bilan peut être plus négatif que celui du kérosène.»
Le secteur mise aussi sur le développement de carburants de synthèse produits grâce à l’extraction de CO2 de l’atmosphère. Ces derniers ne rejetteraient que le dioxyde de carbone nécessaire à leur production, à condition que l’énergie utilisée pour leur production soit elle-même renouvelable. «Selon une estimation, la quantité d’électricité renouvelable nécessaire pour ces carburants au niveau de l’Union européenne en 2050 serait équivalente à l’ensemble de l’énergie renouvelable produite en 2015», pointe Michael Yaziji, professeur à l’IMD et membre de l’institut lausannois E4S (regroupant EPFL, IMD et Unil). Toutefois, si ces carburants sont neutres en carbone, cette solution n’efface pas d’autres impacts de l’aviation sur le climat.
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«La combustion de ces carburants synthétiques dans la haute atmosphère aura toujours des effets de réchauffement global qui ne sont pas liés au CO2, par exemple, via les oxydes d’azote et la vapeur d’eau qui ont des effets deux fois plus importants que le réchauffement direct attribué au CO2», souligne Michael Yaziji. En Suisse, la société Synhelion, qui travaille sur la production un carburant synthétique à partir de l’énergie solaire, a noué un partenariat avec le groupe Lufthansa en mai 2020. Elle prévoit de passer à une production industrielle en 2030.
Une alternative coûteuse
Autre problème, ces carburants sont bien plus chers que le kérosène classique. «Leur prix restera probablement 2 à 3 fois plus élevé que le carburant d’aviation d’origine fossile, même à long terme, estime Michael Yaziji. Si les compagnies aériennes se plaignent des augmentations de prix qui résulteront de la taxe sur les billets, que penseront-elles des augmentations de prix beaucoup plus importantes associées à un passage aux carburants synthétiques?»
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La feuille de route insiste sur la nécessité de soutenir ce marché pour en abaisser les coûts et augmenter la production. Elle préconise notamment de se calquer sur l’initiative de l’Union européenne ReFuelEU Aviation, lancée dans le cadre du plan de relance verte l’an dernier. Celle-ci prévoit d’imposer une part minimum de SAF dans le carburant utilisé. Ces carburants ne représentent actuellement que 0,05% de la consommation totale de kérosène aérien.
L’horizon lointain des technologies alternatives
À plus long terme, dans sa feuille de route le secteur suisse de l’aviation compte aussi sur le développement de technologies de propulsion alternatives, notamment l’avion électrique et à hydrogène. «Il faut garder à l’esprit que le renouvellement des flottes s’effectue en moyenne tous les 15-20 ans en fonction des ressources financières dont disposent les compagnies. Les premiers avions à hydrogène sont prévus pour 2035, ce qui veut dire qu’au mieux l’ensemble du parc aérien volerait à l’hydrogène en 2050», détaille Yves Chatton. Un constat partagé par les auteurs de la feuille de route qui estiment qu’il faut compter une période de 40 à 65 ans entre le début du développement d’une technologie et sa mise en service.
Autre écueil souligné par les experts, sous sa forme liquide, l’hydrogène demande un volume de stockage quatre fois supérieur au kérosène. Et tout comme les carburants synthétiques, cette option n’est viable que si sa production se fait à partir d’électricité renouvelable. Aujourd’hui plus de 90% de la production mondiale d’hydrogène se fait par des méthodes non-renouvelables responsables de l’émission de 830 millions de tonnes de CO2 en 2020, selon l’Agence internationale de l’Energie. «Il faut trouver de la place pour produire de l’énergie verte et l’aviation n’est pas le seul secteur qui compte sur le développement de ces énergies», rappelle Yves Chatton.
Quant à l’avion électrique, qui permettrait de s’affranchir des effets climatiques liés au CO2 mais aussi aux autres émissions du secteur, il rencontre d’autres limites. En l’état actuel, le poids des batteries limitera son utilisation au segment des court-courriers. Or ce dernier ne représente que 5% des émissions carbones de l’aviation. «Pour les avions électriques, les premiers tests sont prévus sur des liaisons comme Londres-Paris pour lesquelles il y a des alternatives moins polluantes comme le transport ferroviaire», souligne Yves Chatton.
En attendant la mise en place de ces technologies, pour Michael Yaziji et Yves Chatton les mesures prévues par la loi CO2 constituent un premier pas efficace vers une décarbonation du secteur.