La Suisse choisie comme arbitre commercial
Outre les réparations qu'elle devra verser, la famille Uzan se voit ordonner de transférer à la justice l'entier de ses actions Telsim. Dans son jugement, la Cour de Manhattan écrit que les Uzan «ont tenté de monter et de cacher leur machination derrière un interminable cortège de mensonges, de menaces et de chicaneries y compris, parmi bien d'autres, le dépôt de plaintes infondées contre des dirigeants d'entreprises américaines et finlandaises, la dilution outrancière de la valeur des actifs servant de garantie aux prêts et la désobéissance répétée aux injonctions de cette cour», rapporte l'AFP. «Nous ferons appel, a déclaré jeudi Hakan Uzan, PDG de Telsim, à Bloomberg. Les décisions du juge Rakoff ont été renversées deux fois par la Cour d'appel et nous espérons qu'il en sera de même pour cette décision.»
Si Motorola a obtenu satisfaction aux Etats-Unis, la partie ne semble pas gagnée en Suisse. Le jugement américain contraste en effet fortement avec celui, donné le 10 juillet dernier, par le Tribunal arbitral de Genève, qui n'avait retenu aucune charge contre la famille Uzan. Jeudi, Hakan Uzan a rappelé dans un communiqué que les clauses des contrats signés en 1998 avec les deux opérateurs prévoient expressément qu'en cas de litiges commerciaux, c'est le droit suisse qui s'applique. Or, la cour genevoise avait estimé en juillet que Motorola n'apportait pas de preuves suffisantes d'une fraude de la famille Uzan, ni que l'opérateur a subi des dommages.
«La cour a reconnu que Telsim a été victime d'une série exceptionnelle d'événements – une crise économique sans précédent, la chute de la lire turque et l'augmentation légale du capital de Telsim (pour sauver la société, ndrl) – qui l'ont obligé à rééchelonner ses prêts en dollars. Nous honorons nos obligations envers Motorola», avait déclaré Hakan Uzan à Bloomberg. Le géant américain avait alors décidé de faire recours au Tribunal fédéral helvétique, qui dès lors maintient l'effet suspensif sur les actifs bloqués de la famille turque.
Les sommes avancées par Motorola et Nokia étaient censées servir à acheter des équipements de téléphonie mobile pour le réseau GSM de Telsim, comme des stations-relais, des commutateurs ou des téléphones, ainsi qu'à régler un acompte pour acquérir des licences de téléphonie auprès du gouvernement turc. Mais les deux fabricants ont accusé la famille Uzan, dont la fortune est estimée à 1,6 milliard de dollars, de n'avoir jamais eu l'intention de les rembourser.
Motorola et Nokia ont exigé une réévaluation de la valeur des actifs de Telsim censés garantir les prêts qu'ils lui ont accordés. Motorola bénéficiait initialement d'une garantie portant sur 66% des parts de Telsim et Nokia sur 7,5% des parts. Ils ont soupçonné la famille Uzan d'avoir dilué artificiellement le capital de la société, ne laissant plus qu'une couverture de 22% à Motorola et de 2,5% pour Nokia.
Selon l'AFP, le juge a précisé que Motorola peut désormais tenter de rentrer dans ses fonds et récupérer l'argent qui lui a été octroyé par le jugement de jeudi, non seulement directement auprès de la famille Uzan mais également auprès des quelque 130 entreprises détenues totalement ou en partie par la famille turque. Pour sa part, Nokia s'est dit encouragé par la décision du juge Rakoff jeudi dans sa propre quête du remboursement des sommes consenties à la famille Uzan.