La Suisse, principal importateur d’or du monde, est loin de pouvoir garantir que le métal précieux qu’elle fait venir est extrait dans des conditions acceptables. C’est ce que dénonce un rapport publié jeudi par Swissaid. L’ONG s’intéresse aux Emirats arabes unis (EAU), principal exportateur d’or en Suisse, et Dubaï, une plaque tournante souvent pointée du doigt pour ses importations de métaux précieux d’Afrique, soupçonnées d’être souvent d’origine criminelle.

L’ONG critique surtout la raffinerie tessinoise de Valcambi. C’est l’une des principales de Suisse, avec celle du neuchâtelois Metalor et les deux autres tessinoises PAMP et Argor-Heraeus. Créée en 1961 et dotée d’une capacité de raffinage en métaux précieux de 2000 tonnes par an, Valcambi serait la plus grande raffinerie de métaux précieux du monde. Elle a appartenu à Credit Suisse avant d’être reprise en 2015 par le groupe indien Rajesh Exports. Parmi ses clients figurent des horlogers, des banques et des géants informatiques, de Samsung à Apple.

83 tonnes d’or

Valcambi est le principal importateur suisse d’or des EAU. La raffinerie collabore là-bas avec deux fournisseurs: Kaloti et Trust One Financial Services (T1FS), des groupes très étroitement liés (au sein de la direction de T1FS figurent plusieurs dirigeants de Kaloti).

En 2018 et 2019, ces entreprises auraient envoyé 83 tonnes d’or à Valcambi. Selon Swissaid, Kaloti se fournit en or dans un souk à Dubaï, où les contrôles manquent de sérieux, et au Soudan. Kaloti serait le principal client de la banque centrale de cet Etat africain, qui, selon l’ONU, achète de l’or à des milices impliquées dans des crimes de guerre et des violations des droits humains au Darfour. Le Soudan est un fournisseur de Kaloti de longue date, selon Swissaid.

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Entre 2012 et 2018, 95% des exportations d’or du Soudan ont abouti dans les EAU. La majorité de l’or africain, souvent extrait dans des conditions illégales, est exportée à Dubaï, selon l’agence Reuters. L’argent de la drogue a pu y être blanchi par le biais d’achat d’or, notamment par Kaloti, selon la BBC. En 2015, ce groupe a d’ailleurs été retiré du DMCC, un standard en vigueur à Dubaï, à la suite d'un audit maquillé. Mais Valcambi continue de travailler avec Kaloti jusqu’à présent. Contacté, le directeur de Valcambi, Michael Mesaric, n’a pas voulu s’exprimer car il n’a pas encore pu lire le rapport de Swissaid.

Le groupe tessinois Argor-Heraeus, qui importe aussi de l’or des EAU, va réévaluer certaines relations d’affaires à la suite des mises en garde, notamment de Swissaid, indique l’ONG. Marc Ummel, auteur de l’enquête, regrette qu’il ait fallu attendre pour qu’Argor-Heraeus réagisse. Cet exemple montre que «l’autorégulation, ça ne marche pas», selon lui. «Si l’initiative dite «pour des multinationales responsables» est acceptée, les raffineurs n’iront certainement plus s’approvisionner en or à Dubaï, relève-t-il. Ils seront contraints de s’assurer des bonnes conditions de production de l’or et donc d’aller le chercher à la mine.» PAMP importerait des lingots des EAU, mais certifiés par le standard international de la LBMA. Metalor ne travaille pas avec les Emirats, faute de contrôle.

Douanes trop souples

«Argor-Heraeus est consciente du fait que Dubaï est un marché sensible. Mais il y existe tout de même des partenaires qui travaillent en conformité avec toutes les lois, et non des moindres, avec beaucoup de responsabilité personnelle. Argor-Heraeus s’impose de travailler avec eux seulement», nous indique Christoph Wild, directeur d’Argor-Heraeus. «Bien qu’un désengagement immédiat d’une relation d’affaires ou d’un marché pourrait être la solution la plus simple, mais discriminatoire par rapport aux acteurs du marché, Argor-Heraeus ne la considère pas comme appropriée pour la mise en œuvre des Swiss Best Practices au niveau international. Les sources douteuses continueront à commercialiser de l’or, lequel arrivera ensuite sur le marché de manière incontrôlée et sera vendu par des criminels. Le flux d’or n’est pas arrêté. Le problème demeure», ajoute-t-il.

Dans un rapport en juin, le Contrôle fédéral des finances pointe des lacunes en Suisse, également relevées par Swissaid. Les douanes se contentent notamment de demander le nom du dernier pays par lequel l’or a transité avant d’arriver, et son pays d’origine. Pour ce dernier, elles acceptent que soit mentionné le nom du pays dans lequel le métal a été transformé. Le pays d’extraction ne figure ainsi presque jamais dans les registres. Légalement, les Suisses «ne sont pas tenus de s’assurer que l’or a été produit sans violer les droits humains», résume Swissaid.

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