Qui dit consolidation dit disparition de dizaines d’entreprises américaines et européennes, et de milliers d’emplois. La faillite de Solyndra aux Etats-Unis et les sérieuses difficultés de trésorerie de l’allemande Q-Cells ne représentent que la pointe de l’iceberg. La Suisse, marquée par la déliquescence de Flexcell et le brutal arrêt de la construction, dans le canton de Berne, de la plus grande usine de modules photovoltaïques du pays, n’est pas épargnée par ce complet retournement du marché. A qui la faute? Nombreux sont ceux qui accusent la Chine, devenue leader dans le domaine.
Inexistant il y a cinq ans dans ce secteur, ce pays, qui exporte 95% de sa production de panneaux solaires, est aujourd’hui omniprésent. Plus de la moitié des cellules photovoltaïques installées en Europe sont d’origine chinoise. Et si la première société dans ce domaine, First Solar, est américaine, elle est talonnée par trois entreprises chinoises qui, à elles seules, représentent deux fois et demie son volume de production. Sur les dix plus gros fabricants de panneaux solaires, cinq sont chinois et deux sont installés à Taïwan.
Arvind Shah, spécialiste en photovoltaïque, professeur honoraire de l’Institut de microtechnique de Neuchâtel-EPFL, crie à la distorsion de concurrence. «Les autorités chinoises subventionnent massivement le prix de l’électricité. Construire des panneaux solaires avec un prix du courant équivalent à quelques centimes d’euro constitue une forme de concurrence déloyale face aux constructeurs européens et américains. Sans parler des aides chinoises directes massives aux fabricants.» Ce discours est également tenu au niveau des autorités américaines. Il commence aussi à poindre dans certaines régions allemandes, irritées de devoir indirectement subventionner la pose de panneaux solaires chinois alors que des entreprises locales, actives dans ce secteur, font faillite. La semaine dernière, l’administration américaine du commerce extérieur a signalé qu’elle a «de sérieuses raisons de croire que les entreprises chinoises qui importent leurs modules aux Etats-Unis bénéficient de subventions massives, et vraisemblablement illégales, de la part du gouvernement chinois». Cette constatation pourrait déboucher sur une guerre commerciale entre les deux pays, et le prélèvement de droits de douane spéciaux par les Etats-Unis. Le patron de Suntech, société chinoise qui emploie 22 000 personnes et deviendra sans doute numéro un cette année, dément une politique d’aide étatique massive. «Les crédits effectivement reçus de l’Etat sont dix fois moins importants que les 7,3 milliards de dollars évoqués. Et les taux d’intérêt accordés sont parfois supérieurs aux taux occidentaux», explique-t-il dans un entretien publié dans Le Figaro.
Nicolas Musy, responsable du Swiss Center à Shanghai, ne nie pas l’aide étatique à des secteurs jugés prioritaires, mais estime que le succès chinois dans le solaire s’explique par d’autres facteurs. «L’ensemble des coûts de production est inférieur, et il y a aussi une masse critique importante qui fait baisser le coût par unité produite.» Arvind Shah empoigne le problème d’une autre manière. Il a lancé, dans les milieux scientifiques et économiques, le projet d’un label écologique afin de minimiser l’impact de la fabrication des panneaux solaires, gourmands en énergie grise. Pour obtenir ce label, comparable à une norme de qualité ISO, les constructeurs chinois devraient par exemple renoncer à utiliser du courant électrique provenant de centrales à charbon et globalement s’aligner sur les normes de production «verte» respectées en Europe et aux Etats-Unis. Le rachat de courant «vert» subventionné par les pays européens pourrait alors être lié à l’apposition de ce label. «Ma crainte, si rien n’est entrepris, c’est de voir se dégrader la réputation du solaire, énergie pas toujours verte selon le mode de fabrication des panneaux», explique Arvind Shah.
«Ce label est une idée intéressante», note Matthias Fawer. Elle ne déplaît pas non plus à Nicolas Musy, persuadé «que la Chine pourrait s’y adapter, comme elle l’a fait pour la norme CE de l’Union européenne».