«Le rachat de Swiss par Lufthansa ne me fait aucun effet, dit sobrement un salarié de Swissport (ex-Swissair) à l'aéroport de Genève. C'est simplement une compagnie qui en rachète une autre. L'émotion n'est plus de mise. Ça n'a absolument rien à voir avec le «grounding» ou le crash du SR 111, où j'avais les larmes aux yeux.» Son avis est partagé par la plupart des employés de Cointrin qui ont fait leurs classes chez Swissair. Avec l'annonce des discussions du mariage, les langues se délient mais la discrétion reste de mise. Depuis que «la compagnie nationale chérie» a disparu, les salariés romands regardent les tribulations économiques de Swiss avec un certain détachement. Presque de l'indifférence. «Nous étions entièrement dévoués à Swissair, explique une hôtesse de l'air de Swiss. C'était notre maison. Je m'identifiais totalement à l'entreprise. Je faisais des heures supplémentaires sans compter. J'ai presque envie de dire que ce qui était bon pour Swissair était bon pour moi. Maintenant je travaille dans une entreprise sans relief, sans personnalité, sans culture. Que Lufthansa nous rachète n'est finalement pas une mauvaise nouvelle. On finira enfin de battre de l'aile.»

Curieusement, la venue de Lufthansa est plutôt vue d'un bon œil à Genève par bon nombre d'employés. «Ce ne sera plus Zurich Airlines qui perd de l'argent mais une grande compagnie qui fait des bénéfices, lâche une hôtesse de Swiss (ex-Crossair), même si elle craint pour la négociation de son salaire dans le futur. Avec ce rachat, il n'y aura plus ce double jeu où l'on parle d'une compagnie nationale tout en favorisant Zurich. Les Allemands vont enfin remettre de l'ordre dans la maison.»

Contrairement aux employés de Zurich-Kloten, où la rivalité avec Munich est clairement affichée, les petits bataillons romands de Swiss ne craignent pas l'arrivée de la grande compagnie allemande. «De toute façon, Genève-Cointrin a tout perdu depuis la naissance de Swiss, sourit une employée de Swissport au check in à Cointrin. Seule une dizaine de personnes de la «Resa» (ndlr: le service des réservations) travaillent encore pour la compagnie dite «nationale» à Genève. Tous les autres anciens salariés ont été orientés dans des sociétés de sous-traitance. Regardez les destinations de Swiss au départ de Genève: elles ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles étaient. C'est à Zurich que l'on doit se poser des questions. Je serais mal à leur place. Mais pas ici.»

Le fossé persiste entre pilotes

Les modalités de la publication des bans du mariage ont froissé plus d'une personne. «J'aurais bien aimé recevoir un e-mail plutôt que de lire dans la presse dominicale que ma compagnie a été rachetée par Lufthansa, explique une hôtesse de l'air (ex-Swissair). De toute façon, ça fait des années qu'on nous presse le citron. J'ai juste peur que Franz (ndlr: le patron de Swiss) parte avec des sous plein les poches. On garde un souvenir très amer de Bruggisser. Il doit bien vivre, lui, malgré ce qu'il a fait…»

Des syndicats puissants

Chez les pilotes de Swiss, le fossé entre les personnels de cabine ex-Swissair et ex-Crossair subsiste. Et ce fossé n'est pas prêt de se réduire. «Malgré la venue de Lufthansa, les pilotes ex-Swissair pensent toujours pouvoir négocier un contrat différent pour maintenir leurs privilèges, ce qui n'est pas acceptable, explique Martin Gutknecht, porte-parole de Swiss Pilots (ex-Crossair). On sent un petit vent de révolte dans nos rangs et nous devons freiner les pilotes romands qui sont encore beaucoup plus contestataires que les Alémaniques. Si Swiss ne respecte pas les modalités du contrat signé il y a deux ans, les anciens pilotes de Crossair seront obligés de faire la grève.»

La venue de Lufthansa pourra-t-elle désamorcer cette crise larvée qui mine les relations entre les deux personnels de cabine depuis la naissance de Swiss? «Les plans de la compagnie allemande ne sont pas encore très précis, réplique Martin Gutknecht. En revanche, les pilotes ex-Crossair sont très déterminés.»

Parmi les impressions recueillies à l'aéroport de Cointrin, on se rend compte que la nationalité de la compagnie a compté dans le jugement des employés.

Contrairement à Zurich qui voit en son voisin une menace, l'Allemagne semble avoir bonne réputation à Genève. «Je me serais beaucoup plus inquiété si Swiss était tombé dans les mains d'une autre compagnie européenne, glisse un steward. Lufthansa est une compagnie très sérieuse et les syndicats sont puissants. Si British Airways avait remporté le morceau, on aurait pu craindre le pire.»