«Minable», «scandaleux». C’est ainsi que certains touristes étrangers qualifient sur les réseaux sociaux l’attitude des responsables du Magic Pass à leur égard. «Je ne m’attendais pas à cela de la part de la Suisse, dont j’ai toujours apprécié l’hospitalité. Je suis choquée», confie Sandra* au Temps. Cette Britannique, qui tient à rester anonyme, est une cliente de la première heure du fameux sésame, qui, depuis trois ans maintenant, ouvre durant toute la saison les portes de 25 stations helvétiques pour 399 francs.

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Fin décembre, Sandra et sa famille s’apprêtaient comme chaque année à se rendre dans leur chalet de Villars (VD) pour les Fêtes. Mais le durcissement des mesures décrétées alors pour juguler la flambée de Covid-19 les contraint, comme beaucoup d’autres touristes étrangers, à rester dans leur pays. Elle contacte par courriel la société Magic Pass, qui évoque la possibilité d’un ajournement des abonnements. «Une décision sur ces ajournements sera prise mi-mars», est-il précisé dans cet échange daté du 24 décembre 2020 et que Le Temps a pu consulter.

Fin mars, voyant que les restrictions ne seraient pas levées avant mai, date de l’échéance de ses abonnements, la Britannique recontacte Magic Pass. Mais cette fois, il n’est plus question d’un ajournement: la société lui propose un rabais sur l’achat des abonnements pour la saison 2021/2022 – 100 francs par adulte, soit un quart du tarif prévente de 399 francs garanti jusqu’à lundi prochain), 50 francs par enfant (tarif prévente de 269 francs), peut-on lire dans un courriel daté du 19 mars 2021. Une réponse «franchement décevante, à la limite du grossier envers une cliente fidèle», regrette Sandra. «Je ne demande pas un remboursement, juste un transfert à la saison suivante de la validité de mes trois abonnements achetés au printemps dernier et qui n’ont en fin de compte jamais servi», insiste-t-elle.

Achat forcé

Pour la Fédération romande des consommateurs (FRC), la proposition de la société Magic Mountains Cooperation, qui gère le Magic Pass, est «clairement défavorable au consommateur et crée un déséquilibre entre les prestations qui ne devrait pas être toléré», observe la juriste Malika Pessard.

D’une part, parce que la contre-prestation offerte sous forme de rabais n’équivaut pas à celle que les clients ont achetée et dont ils n’ont pas pu profiter – or, «le consommateur a droit à une prestation équivalente sans qu’un supplément soit requis». D’autre part, car pour en bénéficier, ils sont contraints d’acheter un nouvel abonnement. C’est d’ailleurs cela qui conduira Sandra à racheter probablement un pass cette année, s’y sentant «forcée». Un sentiment auquel s’ajoute la crainte «de tout perdre à nouveau», dans le cas où un nouveau variant du virus empêcherait encore une fois de voyager, comme l’exprime une cliente néerlandaise sur la page Facebook du Magic Pass.

«A notre sens, le report proposé en décembre dernier à cette cliente engage la société, ce, d’autant plus que le remboursement est expressément exclu par les conditions générales», poursuit Malika Pessard. Elle précise toutefois que la FRC n’est compétente que pour les consommateurs domiciliés en Suisse.

Un «geste commercial»

Contactée, la société Magic Mountains Cooperation estime avoir consenti, avec cette offre de rabais, à «un geste commercial». «Rien ne nous obligeait à le faire. Selon nos conditions générales, tout remboursement est exclu», souligne Sébastien Travelletti, directeur de Télé-Anzère et vice-président de la coopérative.

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Quant à un ajournement, «nous n’avons rien promis, il s’agissait d’une possibilité, qui ne serait intervenue qu’en cas de fermeture complète des stations», ajoute-t-il. Un scénario évoqué fin décembre et qui a conduit la société à évoquer spontanément cette option à ce moment-là, précise le responsable, réfutant toute «maladresse ou erreur» de la part de Magic Pass. Un report aurait en outre donné un mauvais signal. «Certains clients suisses ont renoncé à skier cet hiver, par crainte du virus. Ils pourraient alors se sentir lésés de ne pas en bénéficier eux aussi», relève-t-il.

Le rabais offert sur les nouveaux abonnements a été calculé pour correspondre à la durée des restrictions, soit environ 25% de la durée de validité du Pass – plus généreux que les 10% de rabais offerts à l’achat d’abonnements saisonniers dans d’autres domaines skiables, souligne-t-il. En outre, «entre mai et décembre, soit pendant près de huit mois, ses détenteurs avaient tout loisir d’en profiter», considère Sébastien Travelletti. Dans les courriels que Le Temps a pu consulter, l’équipe du Magic Pass précise que le rabais ne s’applique que si l’abonnement n’a pas été utilisé. De quoi attiser la colère d’un touriste belge, qui affirme n’avoir été remboursé qu’à hauteur de 68 francs pour avoir utilisé trois fois son pass en été. «Personne n’achète un tel forfait pour de la randonnée estivale», témoigne-t-il sur la page Facebook du Magic Pass.

Réputation de cherté

La clientèle internationale représente moins de 4% des abonnés, auxquels s’ajoutent quelques visiteurs qui possèdent une résidence secondaire en Suisse où ils se font livrer le pass et sont comptabilisés comme des clients indigènes.

Dès lors, Roland Schegg de l’Observatoire valaisan du tourisme considère qu’un ajournement de ces abonnements n’aurait pas constitué de lourdes pertes pour la coopérative et qu’elle aurait même pu se servir de ce geste comme d’un outil commercial. «Les destinations helvétiques souffrent à l’international d’un rapport qualité-prix défavorable comparé aux pays voisins, avec un niveau de prestations comparable à l’Autriche ou la France, mais des tarifs 30 à 40% plus élevés», relève le spécialiste. «Ce différend risque de cimenter les clichés auprès de la clientèle étrangère.»

* Pseudonyme, nom connu de la rédaction