Le patron était soupçonné d’avoir fait un «mauvais usage d’actifs de l’entreprise» et d’avoir eu «une conduite personnelle inappropriée», avait révélé le Wall Street Journal début avril, annonçant une «enquête interne». La première expression a fait penser à un possible abus des ressources de WPP ou à des frais injustifiés, la seconde à un potentiel harcèlement sexuel, en plein essor du mouvement #MeToo.
Un style particulier
Depuis, certains observateurs ont fait remarquer que Sir Martin Sorrell était un ami de Jared Kushner, mari d’Ivanka Trump et gendre de Donald Trump. De plus, le média spécialisé Ad Age a révélé que WPP avait participé à un appel d’offres pour l’armée américaine en collaboration avec Cambridge Analytica, l’entreprise soupçonnée d’avoir utilisé pour la campagne de Donald Trump les profils de près de 50 millions d’Américains récupérés de façon détournée sur Facebook. Ad Age cite une source selon laquelle Martin Sorrell connaissait Alexander Nix, le sulfureux fondateur de la société britannique de ciblage publicitaire, qui voulait vendre son officine à WPP – une proximité toutefois niée par un cadre du groupe.
Quel que soit le fin mot de l’histoire, la mise sur la touche de Martin Sorrell tourne la page d’un style particulier. Né en 1945 et descendant d’une famille juive peu aisée, venue au Royaume-Uni d’Ukraine, de Pologne et de Roumanie, il a étudié à Cambridge et à Harvard. Il est entré dans le monde de la publicité via l’agence Saatchi & Saatchi, dont il a grimpé les échelons jusqu’à être considéré comme «le troisième frère». Il entreprend ensuite de bâtir son grand œuvre à partir de Wire and Plastic Products (WPP), une petite entreprise britannique qui fabriquait des paniers en plastique. Martin Sorrell se lance dans une frénésie de rachats qui l’amènera à prendre le contrôle de géants comme Ogilvy & Mather, Young & Rubicam, Kantar…
Semblant toujours sortir de son jet, Sir Martin Sorrell s’était construit un personnage de bourreau de travail, au cuir aussi épais que le carnet d’adresses, écumant sommets et conférences. Toujours bronzé et impeccablement mis, mais capable de mettre un pied sur la table basse d’un hôtel de luxe, il était remarié à Cristiana Falcone, conseillère du World Economic Forum de Davos, après avoir conclu «le divorce le plus cher de l’histoire du Royaume-Uni».
Deux dauphins potentiels
Martin Sorrell était apprécié et craint pour son ton direct. «Cela existe peut-être dans les méandres de l’imagination de certains, au-dessus de l’Arc de triomphe, mais où est l’intérêt?» avait-il raillé, quand ses rivaux Publicis et Omnicom avaient annoncé leur fusion – finalement avortée. Il avait des ennemis: «Je préférerais lécher le sol d’un abattoir que de travailler avec lui», avait ainsi juré Chris Ingram, de l’agence Tempus.
L’étoile de Martin Sorrell avait commencé à pâlir quand son salaire faramineux – jusqu’à 89,5 millions d’euros en 2015, un record au Royaume-Uni – a fait polémique, avant d’être réduit. Plus récemment, les résultats 2017 – les plus mauvais depuis 2009 avec un chiffre d’affaires net en baisse de 0,9%, à 17,4 milliards d’euros – ont fait plonger son cours de bourse. Le modèle de WPP est secoué par les annonceurs, qui se passent désormais parfois d’agences, et par les grandes plateformes comme Google, Facebook ou Amazon. Comme Publicis, WPP se disait aussi condamné à se renforcer dans les technologies pour faire face aux cabinets de conseil comme Accenture ou Capgemini.
La succession de Martin Sorrell est enfin ouverte: Roberto Quarta, président de WPP, assurera l’intérim jusqu’à la nomination d’un nouveau PDG. Il sera épaulé par Mark Read, PDG du groupe Wunderman et de WPP Digital, et par Andrew Scott, responsable des opérations en Europe. Deux dauphins potentiels. Dans son communiqué de départ, le patriarche Sorrell a écrit cette pirouette, qui sonne comme une mise en garde: «Je peux dire que WPP n’est pas qu’une histoire de vie ou de mort, cela a toujours été et sera toujours bien plus important que cela.»