Comment la medtech suisse essuie le courroux de Bruxelles
Accord-cadre
AbonnéDiscrète mais efficace, la réponse de la Commission européenne ne s’est pas fait attendre le 26 mai. Les réponses à deux interpellations publiées ce lundi expliquent pourquoi des PME suisses ne peuvent plus exporter dans l’Union européenne

Si l’histoire suisse n’a pas encore choisi la couleur qu’elle donnera au 26 mai 2021, l’industrie de la medtech a, elle, certainement déjà tranché: pour elle, ce sera du noir foncé. Ce jour-là, le Conseil fédéral décidait d’interrompre les négociations d’un accord-cadre avec l’Union européenne (UE). Un choix qui coïncidait avec l’entrée en vigueur dans l’UE d’une nouvelle réglementation sur les dispositifs médicaux (RDM).
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Les fabricants de seringues, de pompes à insuline ou de lits d’hôpitaux se sont trouvés bien involontairement coincés dans le bras de fer institutionnel opposant Berne à Bruxelles. La menace était connue. Publiées lundi, les réponses du Conseil fédéral à deux interpellations déposées au parlement ce printemps permettent toutefois de comprendre pourquoi des exportateurs suisses sont devenus immédiatement indésirables dans l’Union, comme la presse dominicale alémanique s’en est fait l’écho.
Rétorsion immédiate
Jusqu’à la dernière minute, des négociations ont eu lieu entre les deux parties pour statuer sur le sort réservé aux dispositifs certifiés avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Selon Swiss Medtech, l’association faîtière de l’industrie des technologies médicales, un compromis était sur le point d’être trouvé pour reconduire une version minimale de l’accord de reconnaissance mutuel (ARM). Celui-ci aurait prolongé de trois ans la validité des homologations réalisées en Suisse sous l’ancien régime.
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C’était compter sans l’annonce du Conseil fédéral. Une conférence de presse aura suffi pour balayer les progrès réalisés. C’est en tout cas ce qu’il ressort de la réponse fournie à une interpellation déposée par la conseillère nationale bâloise Sibel Arslan. Le Conseil fédéral y fait savoir que, le jour de la rupture des négociations, la Commission européenne a transmis sa position sur l’accès au marché unique: l’exécutif relève que «cette communication précise notamment que les certificats suisses, reconnus jusqu’au 26 mai 2021 par l’UE, ne seront plus valables après cette date dans l’UE.»
Premières entreprises touchées
Conséquence: selon les estimations de Swiss Medtech, 65 des 350 fabricants suisses de dispositifs médicaux sont aujourd’hui plongés dans l’incertitude la plus totale. Ayant fait certifier leurs produits en Suisse, ceux-ci n’ont en effet pas l’assurance de pouvoir les écouler dans les 27 Etats membres de l’Union. Et comme la NZZ am Sonntag l’a appris, il ne s’agit pas de paroles en l’air: l’entreprise biennoise MPS Precimed a été informée jeudi dernier par son représentant européen qu’il ne pourrait plus accepter une grande partie de son assortiment composé d’outils utilisés pour les implantations d’articulations artificielles. En quelques heures, un tiers de son chiffre d’affaires s’est évanoui.
Autre conséquence concrète relayée par l’organisation faîtière de la branche: un camion est bloqué à la douane slovène avec des produits provenant d’un grand groupe suisse.
Des parts de marché en danger
Pour les entreprises concernées, principalement des PME, des millions sont en jeu et l’homologation des produits en vertu de la nouvelle réglementation ne s’annonce pas aisée: «Cela pourrait leur prendre jusqu’à deux ans pour s’adapter, estime Daniel Delfosse, membre de la direction de Swiss Medtech. Ces sociétés suisses vont devoir trouver un nouvel organisme notifié dans l’UE, passer d’abord un certificat dit de système, puis recertifier leurs produits.»
«C’est un énorme problème si les entreprises ne peuvent plus livrer en Europe pendant l’intervalle car les clients vont trouver de nouveaux fournisseurs, poursuit-il. Nous exigeons donc que le Conseil fédéral ouvre une voie de communication avec la Commission européenne pour clarifier et débloquer cette situation. Sinon, si la société a un mandataire dans un Etat, elle peut demander une exemption aux autorités compétentes, mais cela représente beaucoup de bureaucratie.»
Aucune instance d’arbitrage
Le Conseil fédéral continuera, lui, d’accepter les certificats européens au moins jusqu’à la fin de l’année et n’exigera pas encore de mandataire en Suisse jusqu’à cette échéance pour éviter tout risque de pénurie. Il estime que la décision de la Commission contrevient à l’ARM entre la Suisse et l’UE. Le problème, c’est qu’il n’y a aucune instance d’arbitrage – c’est par exemple ce que l’accord-cadre institutionnel prévoyait. «Une société pourrait théoriquement attaquer la Commission européenne en justice pour une infraction à l’ARM. Mais je ne vois pas quelle petite entreprise se lancerait dans une telle action», constate Daniel Delfosse.
La réponse livrée à une autre interpellation déposée par le démocrate du centre Hannes Germann montre à quel point la marge de manœuvre du gouvernement est étroite. La pandémie représente le principal argument brandi pour faire plier la Commission. Selon l’exécutif, «il est impératif d’éviter des perturbations artificielles supplémentaires».
Il n’est pas sûr que cela suffise pour faire mouche et mettre à l’abri une branche qui exporte chaque année ses produits pour un montant de 12 milliards de francs. La moitié de cette somme est réalisée dans un pays de l’Union.