C’est là que se situe le plafond: à 27%, le seuil de représentation féminine que les métiers de l’industrie ne parviennent pas à dépasser, loin de la parité. Et c’est à peu de chose près la proportion de femmes présentes vendredi parmi les 180 participants à la journée annuelle de la formation professionnelle, organisée par l'association représentant la branche des machines, Swissmem. Elle se tenait cette année au Musée olympique à Lausanne et était entièrement consacrée à la thématique de l’égalité.

«Enfin! Les autres années, le nombre de femmes présentes à cette journée se comptait sur les doigts d’une main», s’est exclamé le responsable de son organisation, Jean-Claude Kottelat, croisé dans les couloirs. Et ce, en dépit des mesures déployées ces dernières années pour favoriser les postulations féminines: journées de promotion des métiers techniques dans les écoles, aménagement des conditions-cadres (CCT) visant à faciliter les baisses de taux d’occupation ou le télétravail, de même que le partage de postes (jobsharing).

Pénurie de talents

Des mesures qui visent notamment à combler le manque de personnel qualifié: l’indice de pénurie de main-d’œuvre publié récemment par Adecco a crû de 22% depuis 2016, avec, en tête des secteurs les plus touchés, les métiers de l’ingénierie et les professions techniques.

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Ce type d’aménagement n’a cependant que peu d’incidence dans le choix d’un métier, a lancé à l’assemblée de formateurs et d’apprentis la sociologue Nicky Le Feuvre, spécialisée dans les problématiques liées au genre au travail, invitée à la manifestation: «Sinon, comment expliquer la très forte proportion de femmes dans les métiers de la santé où les contraintes horaires ne sont pas particulièrement conciliantes avec une vie familiale?» Des professions qui sont par ailleurs très techniques également, a-t-elle ajouté, balayant au passage le stéréotype selon lequel les femmes seraient peu attirées par ce type de tâches.

Pire, les mesures habituelles de promotion de la mixité peuvent s’avérer contre-productives, car conçues selon un système binaire, qui différencie hommes et femmes selon des critères arbitraires, note la sociologue de l’Université de Lausanne. Les campagnes de féminisation exposent ainsi systématiquement les femmes à être stigmatisées au travail, que ce soit par du dénigrement ou par des traitements de faveur. Elles conduisent dans certains cas à «embaucher une femme pour sa seule qualité d’être une femme, ce qui alimente cette différenciation, pointe Nicky Le Feuvre. Et le fait de valoriser, à l’inverse, le comportement «viril» d’une collaboratrice alimente la pensée selon laquelle la manière de faire des hommes est la meilleure», relève la chercheuse.

Vers des rôles interchangeables

«L’absence de femmes dans certains métiers n’est pas liée à leurs compétences ou disponibilité, mais bien à un problème de perception et de jugement», souligne Nicky Le Feuvre. Parmi les principales raisons identifiées par la chercheuse pour expliquer le manque d’attractivité persistant de certains «bastions masculins» comme le secteur de l’industrie lourde: «la culture professionnelle» de certaines entreprises, héritée de notre perception de la notion de genre qui tend à valoriser les hommes et les caractéristiques qui leur sont associées.

Dès lors, pour parvenir à une vraie mixité, «hommes et femmes pourraient devenir plus interchangeables. Et ce, tant dans le domaine professionnel que familial», a relevé Nicky Le Feuvre. Un modèle que la sociologue a qualifié d'«utopique», impliquant de dépasser les notions de genre, de redéfinir les cultures des métiers, les critères de recrutement et de rémunération. Mais qui bénéficie selon elle d’un contexte historique inédit, «puisque l’égalité devient une exigence démocratique incontournable».

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Une piste de plus que les représentants de Swissmem «ont à coeur d'explorer, avec l'envie de faire avancer la problématique», a conclu Béatrice Martin-Flatin, cheffe de secteur politique patronale pour la Suisse romande auprès de l'association.