Ces dernières années, la tendance dans la finance était plutôt à l’éthique et aux investissements socialement responsables. Rien qu’en Suisse, les placements durables s’élevaient ainsi à quelque 71,3 milliards de francs fin 2014, soit en hausse de 26% sur un an, selon un rapport publié par FNG, une structure qui réunit les principaux acteurs de la branche.

Pourtant, le vice paie toujours. Et plutôt bien d’ailleurs. Lancé en septembre 2002, le fonds du vice, ou «Vice Fund» en anglais, a depuis réalisé une performance de 9,3% en moyenne par année. Contre 8% pour le S&P 500, son indice de référence. La recette de son succès? N’investir que dans des entreprises issues de l’industrie du tabac, de l’alcool, du monde des jeux de hasard ou de l’armement.

Glossaire. Quelques définitions de mots importants dans l’univers des fonds de placement et des produits structurés

Sexe, alcool et casinos

La semaine dernière, les trois principales positions du fonds établi au Texas étaient ainsi liées à l’industrie du tabac: Reynolds American (6,6%), Philip Morris International (6,3%) et Altria Group (5,4%). MGM Resorts International (5,3%), qui exploite notamment plusieurs hôtels casinos à Las Vegas, se classait quatrième tandis qu’il fallait remonter à la septième position du portefeuille pour trouver le premier constructeur d’armes General Dynamics (3,9%).

Ces derniers mois, le «Vice Fund» a toutefois vu sa taille passer de 290 à 220 millions de dollars (213 millions de francs environ). Sa performance a notamment été pénalisée par la lutte anti-corruption menée par les autorités chinoises, qui a pesé sur les affaires des casinos à Macau. Les distributeurs ont également fait pression sur Gerry Sullivan, qui a repris la gestion du fonds il y a quatre ans, pour qu’il en change le nom (il a été renommé «Barrier Fund» l’été dernier). «Ils voulaient quelque chose qui fasse moins peur aux investisseurs», a-t-il expliqué dans une récente interview à Bloomberg.

Reste que la stratégie, elle, que certains résument par «investir de manière socialement irresponsable», n’a pas changé.

Une étude publiée par la London Business School en début d’année, en collaboration avec Credit Suisse, plaide d’ailleurs en sa faveur. Les auteurs ont en effet comparé les performances du «Vice Fund» et du «Vanguard FTSE Social Index Fund» – fonds américain constitué de titres d’entreprises ciblées selon certains critères sociaux, humains et environnementaux – sur une période de près de 14 ans. Les résultats sont imparables: 10 000 dollars investis dans le premier ont rapporté 23 655 dollars contre seulement 16 788 dollars dans le second.

Les auteurs ont également observé que dans la première moitié du XXe siècle, quand le tabac n’était pas encore considéré comme étant dangereux, les sociétés issues de cette industrie étaient neutres en termes de performance. A l’inverse, quand les effets négatifs de la fumée ont été avérés (dans les années 1960), les entreprises du secteur ont surperformé celles comparables de plus de 3% par an.

Outre le fait que les «actions du péché» bénéficient d’une demande régulière, quelle que soit la conjoncture, et qu’elles fassent l’objet de fortes barrières à l’entrée, les auteurs de l’étude expliquent cette différence ainsi: «Si un grand nombre d’investisseurs évite les entreprises du vice, le cours de ces actions chute, présentant des perspectives de rendement élevés à des investisseurs moins préoccupés par l’éthique.»

L’argent n’a pas d’odeur

Paul Dembinski, auteur de l’ouvrage «Ethique, finance et responsabilité» (Ed. Revue-Banque), n’est pas étonné par l’existence de tels fonds. «Les gérants ont toujours cherché des critères pour distinguer leurs performances de celles du marché, explique-t-il. Ce qui leur permet notamment de justifier les frais de gestion auprès des investisseurs.» Selon lui, le vice n’est donc qu’un argument marketing comme les autres, «au même titre que l’écologie pour les fonds verts», précise-t-il.

Selon le directeur de l’Observatoire de la finance à Genève, ceux qui fabriquent des produits financiers, mais aussi ceux qui les vendent et qui les achètent, devraient toutefois s’interroger plus souvent sur le sens de ce qu’ils font. «Je crains toutefois que les valeurs ne représentent un frein pour peu de monde quand de l’argent est en jeu», conclut-il.