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Le modèle de revenu universel des pays du Golfe

L’or noir a fait la fortune des monarchies du Golfe. Une richesse dont les populations locales bénéficient via des mécanismes de protection sociale uniques au monde et des emplois garantis dans la fonction publique. Un modèle de société qui s’apparente à celui promis par le revenu universel

Vue aérienne de Dubaï. — © imago images/Mint Images
Vue aérienne de Dubaï. — © imago images/Mint Images

Dubaï, plus importante ville des Emirats arabes unis, est connue pour être le poumon économique du Moyen-Orient. Elle l’est moins pour la qualité de son modèle de protection sociale. «Je pense que le revenu universel existe depuis des décennies, mais pas de manière formelle», estime Nasser al-Shaikh, ancien directeur général du Département des finances de la mégalopole.

Ce qui est vrai pour Dubaï l’est aussi pour les cinq autres membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui ont bâti leur richesse sur les exportations de pétrole. La myriade d’aides et de subventions gouvernementales dont les citoyens de la région bénéficient tout au long de leur vie forme un modèle de société inspiré des valeurs prônées par le revenu universel.

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Secteur privé en manque de dynamisme

«A bien des égards, le Koweït dispose déjà d’un revenu universel, mais il n’est pas appelé ainsi», affirme également Ali al-Salim, cofondateur de la société de conseil en investissement Arkan Partners. Le financier vient de publier une étude intitulée «Nouvelles Idées pour le Koweït». Son projet est de proposer une alternative aux «emplois fictifs» que l’administration du pays crée chaque année pour employer sa population, se conformant ainsi à la Constitution, qui prévoit que chaque citoyen peut bénéficier d’un emploi généreusement rémunéré dans la fonction publique.

«Nous proposons l’adoption d’une politique, certes radicale, mais logique, qui consiste à donner aux Koweïtiens la possibilité de ne pas travailler, tout en recevant un salaire de l’Etat», indique le rapport. Ce revenu universel bénéficierait à l’économie koweïtienne à long terme, estime-t-il: cela désengorgerait le secteur public et favoriserait un secteur privé qui manque de dynamisme tout en préservant les revenus de ses citoyens.

Multitude d’avantages sociaux

Retour à Dubaï. Selon Nasser al-Shaikh, remplacer la multitude d’avantages sociaux dont jouissent ses concitoyens par un véritable revenu universel pourrait aider à sensibiliser la population à la valeur des privilèges reçus. Car, en l’espace de quelques décennies, ce modèle de redistribution de la richesse s’est enraciné dans les esprits et est devenu difficile à réformer.

Noura al-Kaabi, une Qatarie de 22 ans qui vient de terminer des études d’économie politique aux Etats-Unis, indique qu’elle n’avait jamais pensé à un véritable revenu universel comme une possible solution pour la région. «J’ai d’abord pensé que ce serait très impopulaire parce qu’à l’heure actuelle les Qataris reçoivent des montants très généreux. Si ce revenu est inférieur aux prestations actuelles, je doute que ce soit faisable.»

En Arabie saoudite voisine, la situation est similaire, selon Quentin de Pimodan, expert du royaume au Research Institute for European and American Studies. «Les Saoudiens ne veulent pas perdre de pouvoir d’achat car beaucoup souffrent déjà économiquement», s’exclame-t-il. Avec la crise du covid qui frappe l’économie saoudienne, le gouvernement a imposé des restrictions budgétaires et a triplé la TVA, réduisant le pouvoir d’achat des ménages.

Productivité des locaux en berne

Pourtant, de nombreux experts pointent du doigt les effets néfastes de cette protection sociale omniprésente offerte aux citoyens des monarchies du Golfe – en échange d’absence de toute remise en question de la légitimité des familles régnantes au pouvoir – au premier rang desquels un impact considérable sur la productivité de la population. Dans le secteur privé, les employeurs rechignent à recruter des locaux, leur préférant des travailleurs immigrés plus productifs venus d’Afrique et d’Asie.

Une refonte du système n’effraie pas Noura al-Kaabi, actuellement en recherche d’emploi. La jeune femme perçoit en effet de réels avantages à migrer graduellement vers un revenu universel. «Ce revenu me donnerait la liberté financière d’occuper des emplois qui m’aideraient à développer mes compétences professionnelles, au lieu de travailler directement pour le gouvernement», dit-elle. A titre d’exemple, les salaires offerts par le secteur public en Arabie saoudite sont 59% plus élevés que dans le secteur privé. «De plus, cela donnerait une plus grande indépendance financière aux femmes», ajoute Noura al-Kaabi.

La question du financement risque néanmoins de se poser. La crise du covid renforce une tendance de fond déjà mise en lumière par le krach pétrolier de 2014: l’ère de la croissance sans fin de la demande mondiale en pétrole est révolue. L’avenir des recettes pétrolières est incertain et donc celui des mécanismes de protection sociale en place.

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Au Koweït, Ali al-Salim veut indexer ce revenu universel sur les fluctuations du cours du baril. Cela permettrait à son avis de sensibiliser la population locale aux réalités économiques du diktat de la loi de l’offre et de la demande. Pour autant, cela s’accompagne de défis sociaux qui menacent la stabilité des régimes en place.