«Si tout va bien, cette fois peut-être réussirons-nous vraiment à nous libérer d’Alitalia.» Le commentaire de l’institut Bruno Leoni, think tank économique, début février, confirme combien chaque nouvelle concernant la privatisation de la compagnie aérienne ITA Airways, aujourd’hui entre les mains de l’Etat italien, suscite autant d’espoir que de suspicion. C’est dire si l’intérêt manifesté par le groupe italo-suisse MSC basé à Genève – de concert avec le groupe aérien allemand Lufthansa – pour ITA Airways est commenté, analysé et décortiqué par le monde politique et économique italien.

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Révélée fin janvier, cette offre provoque des réactions positives, car elle pourrait mettre définitivement un terme à une longue agonie ayant consumé, ces vingt dernières années, des centaines de millions d’euros des contribuables italiens. Mais elle suscite, dans le même temps, une forte défiance. En effet, les solutions trouvées jusqu’à ce jour pour sauver la compagnie ont toutes échoué. Les rachats successifs d’Alitalia, en 2009 par des entrepreneurs italiens puis, en 2014 par Etihad, n’ont pas permis d’éviter à la société une crise permanente.

Une question de majorité

Le salut viendra-t-il finalement de la mer? La proposition de MSC et de la société-mère de Swiss d’acquérir la majorité d’ITA Airways séduit l’institut Bruno Leoni. «Vendre tout, vendre tout de suite», intime le think tank dans un commentaire indirectement adressé au gouvernement italien. «L’intégration dans une «logique de groupe» et la nationalité italienne de l’armateur jouent en faveur de cette solution. Les tentatives d’union avec Air France en 2009 et Lufthansa en 2017 avaient avorté «par peur qu’une perte d’«italianité» puisse infliger on ne sait quelle humiliation à notre pays», se rappelle l’institut.

Si Lufthansa devait peser plus que MSC dans l’offre envoyée à ITA, «il s’agirait d’un nouveau chapitre de la compétition désormais historique entre compagnies aériennes, Delta Airlines et Air France/KLM en tête, intéressées depuis toujours par notre marché aérien», commentait le 1er février Il Sole 24 Ore. Le quotidien économique laisse entendre qu’une telle offre serait vouée, comme les précédentes, à l’échec.

Combiner fret et passagers

«Une présence majoritaire de MSC dans l’opération ouvrirait, a contrario, des scenarii inédits d’intégration verticale, assure le média, et devrait permettre de suivre des plans industriels plus ambitieux et plus concurrentiels que ceux des autres compagnies aériennes déjà présentes sur le marché.» Le transport de passagers et de marchandises par les airs serait en effet combiné avec les activités des porte-conteneurs et des navires de croisière de l’armateur le plus important au monde, espèrent les commentateurs les plus enthousiastes.

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La logique économique plaide en faveur d’une telle option, applaudissent de nombreux spécialistes dans la presse transalpine. «La stratégie stand alone (d’ITA) n’offre aucun potentiel de développement et la nécessité de trouver un partenaire pouvant acquérir la majorité de la compagnie aérienne est sans doute l’unique solution définitive, assure Andrea Guiricin, professeur de l’université milanaise Bocconi, dans une étude réalisée pour l’institut Bruno Leoni. Ce n’est qu’ainsi que cessera peut-être enfin le gaspillage des ressources publiques.»

Cet enthousiasme est toutefois freiné par l’Etat. «Forte est la tentation pour la politique de ne pas couper le cordon ombilical qui, depuis des décennies, la lie à Alitalia», reconnaît le think tank. Des révélations de La Repubblica confirment cette tendance: «Les doutes du Ministère de l’économie sur la privatisation», titrait le quotidien le 31 janvier, moins d’une semaine après la manifestation d’intérêt de MSC et de Lufthansa.

Les sociétés italo-suisse et allemande réclament, selon un communiqué d’ITA Airways, «90 jours d’exclusivité pour travailler sur cette manifestation d’intérêt». Le dicastère de l’économie est par conséquent convaincu, à en croire le journal, qu’une «procédure fermée et accélérée» est contraire aux «normes et règlements de notre pays en matière de privatisation». Règle que l’actuel premier ministre Draghi a contribué à instituer lorsqu’il était directeur général du «Trésor» dans les années 90. La décision finale quant à la privatisation d’Alitalia semble ainsi aujourd’hui revenir à l’ancien banquier central.