Une foule d’étudiants se pressait la semaine dernière au SwissTech Convention Center de l’EPFL. En face, des entreprises venues repérer, faire passer de premiers entretiens d’embauche et, pourquoi pas, recruter. Seules les start-up avaient droit à un stand en début de semaine, alors que les grandes entreprises entraient en scène jeudi et vendredi.

Le mardi, alignées les unes à côté des autres dans des petites loges, 76 start-up espéraient trouver leurs futurs talents. Pour les appâter, elles rivalisaient de bonbons multicolores ou de Carambar.

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Echapper au système

Insouciants, les étudiants semblent faire leurs emplettes. «On ne vient pas nous chercher, mais ce n’est pas très compliqué de trouver un emploi, affirme Louis, un étudiant HEC, en jogging, capuche et veste en cuir. Je préfère travailler pour une start-up. C’est beaucoup plus dynamique, moins bureaucratique, plus stimulant et c’est l’occasion d’avoir plus de responsabilités.» A côté de lui, un autre étudiant ajoute: «Et c’est le moment ou jamais de saisir cette occasion avant de se faire rattraper par le système et de rejoindre une grande entreprise.»

D’abord timide, le constat devient plus audible puis criant: les jeunes ne sont plus aussi attirés par les grandes entreprises que par le passé. Le prestige du nom ne suffit plus à pallier l’absence de pouvoir décisionnel. Ces récents propos dans les colonnes du Temps de Stéphane Garelli, professeur à l’IMD, qui forme les futurs cadres et patrons, font écho aux estimations du cabinet de conseil Accenture Strategy: les jeunes diplômés étaient moins d’un quart à envisager de démarrer leur carrière dans une grande entreprise l’an passé, contre encore 33% un an plus tôt.

Quant à ceux qui ont fait le choix de la multinationale pour leur entrée sur le marché du travail, les trois quarts d’entre eux se considèrent sous-employés après un ou deux ans.

J’ai l’impression que dans une start-up tout est à développer. Les grandes entreprises semblent plus rigides

Nicolas, diplômé en génie mécanique

A l’EPFL, une annonce se fait entendre par haut-parleur, invitant les étudiants à assister à une conférence de Genilem, une organisation qui offre de l’accompagnement aux jeunes entreprises. Les organisateurs du Forum EPFL, oreillette et costume parfaitement repassé, veillent au bon déroulement de la 10e édition de la Start-Up Day.

Des start-up moins rigides

A 20 ans à peine, Thomas, étudiant en deuxième année en systèmes de communication et membre du comité du Forum EPFL, finira son master d’ici à quelques années. Il a déjà les idées très claires sur sa future carrière professionnelle. «J’aimerais d’abord rejoindre une grande entreprise pour acquérir de l’expérience puis rejoindre une start-up.»

Les idées sont moins arrêtées pour Nicolas, fraîchement diplômé de l’EPFL en génie mécanique. Il déambule sac au dos et chemise à carreaux. «J’en suis au stade de la réflexion. Je ne sais pas encore où je travaillerai. Je tâte le terrain mais j’ai l’impression que dans une start-up tout est à développer. Les grandes entreprises semblent plus rigides.» Pour en avoir le cœur net, il prévoit de venir toute la semaine au forum afin de rencontrer également des multinationales.

Il entame une discussion avec Stim, un cabinet de conseil en management de l’innovation. «Cette jeune société veut doubler ses effectifs et engager des ingénieurs pour son bureau de Paris, raconte-t-il. Cela pourrait m’intéresser mais uniquement pour une courte période. J’aime trop la nature et le ski de rando. Je ne veux pas tout donner pour mon travail.»

Représentant de la start-up BioWatch, Stanislas Cottard, 27 ans, est assis dans sa loge. A sa droite un bracelet d’identification personnelle biométrique. A sa gauche une poignée de porte qui se déverrouille grâce au prototype. «Nous recherchons des personnes polyvalentes et autonomes. Nous avons actuellement plusieurs postes ouverts», dit-il.

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La multinationale n’offre plus la sécurité

Pour susciter l’intérêt des ingénieurs, il leur propose un environnement de travail très souple, la possibilité de faire du télétravail, avec de la flexibilité dans les horaires. «J’ai moi-même eu une proposition d’Apple aux Etats-Unis durant mes études. Mais ce n’est pas une vie de travailler pour ce type d’entreprise avec des exigences énormes en matière d’horaires. On se fait manger tout cru.»

Après ses études, il a obtenu une offre de Deloitte, avec un salaire annuel de départ de 80 000 à 90 000 francs. «Je gagne moins bien ma vie chez BioWatch mais je peux vite monter en puissance. Et, surtout, j’ai beaucoup plus de liberté.»

Dans une allée consacrée aux jeunes pousses en création, deux jeunes femmes font connaissance avec l’univers des start-up. «Ce que je cherche, c’est avant tout un poste intéressant, affirme Sophie, diplômée en bioingénierie. Aujourd’hui, c’est tout aussi risqué de travailler pour une start-up qu’une multinationale, qui peut restructurer ou délocaliser.»

Et qu’en est-il de la rémunération? «Le salaire tombe une fois par mois alors que le travail, c’est tous les jours», estime-t-elle. «On ne gagne pas un sou pendant nos études. Alors à quoi bon faire le difficile en matière de salaire. Ce qui compte, c’est un travail intéressant», renchérit un étudiant.


Les cinq pistes des grandes entreprises pour attirer les talents

Parmi les grandes entreprises ayant récemment fait part de leurs difficultés à attirer la relève hautement qualifiée qui sort chaque année des hautes écoles helvétiques, il y a Credit Suisse et Nestlé. Si elles restent tributaires d’une certaine rigidité, inhérente à leur taille et à leur structure globalisée, toutes deux ont cherché des pistes pour répondre aux exigences de la nouvelle génération d’employés:

1. Flexibilité
Que ce soit en termes d’horaires, en favorisant le temps partiel, ou de lieu de travail, en permettant à leurs collaborateurs de travailler depuis chez eux ou un bureau proche de leur domicile.

2. Mobilité
C’est le principal atout qu’offre leur structure globalisée et que les deux firmes mettent en avant. Elles offrent la possibilité d’occuper diverses fonctions, dans de nombreux pays, tout en restant dans la même entreprise.

3. Congés
Credit Suisse a récemment étendu son offre de congé paternité de cinq à douze jours. La banque offre aussi un congé de dix jours aux collaborateurs qui devraient prendre soin d’un proche malade. Sans oublier la possibilité de prendre un congé sabbatique.

4. Santé
Des zones de convivialité, de détente, mais aussi d’allaitement ont été aménagées chez Nestlé, qui offre en outre des accès à des salles de remise en forme.

5. Durabilité
Des mesures prises en matière de responsabilité sociale contribuent à rendre une entreprise attractive aux yeux de la nouvelle génération, devenue plus regardante. Les grandes firmes l’ont bien compris. Tant Nestlé que Credit Suisse communiquent ainsi de plus en plus sur leurs efforts entrepris en matière de durabilité (réduction des emballages pour le géant de l’alimentation, offre en investissements durables pour l’institut financier). La banque accorde en outre un jour par an à ses collaborateurs qui souhaiteraient travailler en tant que bénévoles dans une œuvre caritative. R. R.


«Le terme de management est banni du campus»

L’attrait des jeunes talents pour les start-up traduit en fait un rejet du «carcan hiérarchique» imposé par les grandes firmes. Darius Azarpey, président de l’association d’étudiants Junior Entreprise de la Haute Ecole de gestion de Genève, partage ses observations.

Le Temps: Ce qui semble plaire aux étudiants, c’est la structure dynamique et flexible des start-up, peut-être au-delà du projet qu’elles développent. Pourquoi?

Darius Azarpey: Il y a un immense décalage entre ce que l’on nous enseigne pendant nos études, à savoir être créatifs et faire preuve d’initiative, avec la réalité d’un premier emploi dans une grande entreprise, où l’on n’est souvent qu’un exécutant. L’avantage d’une petite structure, c’est que l'on peut exprimer ses compétences en participant à la phase de création, sans devoir faire valider ses idées, via un processus lourd.

C’est un plaidoyer pour abolir la hiérarchie?

La hiérarchie sous sa forme traditionnelle oui. Elle est devenue un carcan, en opposition avec la liberté de proposition à laquelle aspire notre société devenue plus centrée sur l’humain. La notion de management est d’ailleurs bannie du campus. Aujourd’hui on parle de leadership – on ne peut pas se passer des gens qui assument le rôle de meneur. Dans le même esprit, comme on préfère le terme de collaborateur à celui d’employé, car il inclut la notion de participation.

Le fait d’inscrire une entreprise renommée sur son CV n’est plus un critère?

Il l’est de moins en moins. Tout comme on ne se satisfait plus de l’unique perspective de gravir les échelons. Personnellement, je trouve plus intéressant de raconter que j’ai participé à un projet dans lequel j’ai pu toucher à tout. Plutôt que de mentionner le nom d’une entreprise, aussi prestigieux soit-il, où je n’ai pas pu utiliser les compétences que j’ai travaillé à acquérir.

Même si le projet échoue?

Je dirais même surtout s’il échoue. C’est de ses erreurs que l’on apprend, elles doivent servir de socle à la construction d’un nouveau projet.