L'économie japonaise est faible depuis la crise patrimoniale du début des années 90, à l'exception de périodes brèves de reprise (1996, 2000 et 2002-2003, période récente marquée par l'accélération des exportations vers les autres pays d'Asie). Le lien entre le cycle des exportations et le cycle des investissements est très étroit au Japon.
Pourtant, durant les années 90, la parité réelle du yen a été en moyenne forte, avec une situation d'appréciation réelle nette de 1993 à 1996, de 1999 à 2001; sur la période 1990 à 2003, le yen a été surévalué en termes réels de 22% en moyenne. Pourquoi le yen ne s'est-il pas affaibli, alors que les prix des actifs au Japon reculent, que les taux d'intérêt sont beaucoup plus bas qu'aux Etats-Unis? Le Japon a un excédent commercial et courant chronique qui devrait atteindre 140 milliards de dollars en 2003. Cette situation n'est pas due à des gains de parts de marché à l'exportation, sauf en 2002-2003, mais plutôt à la faiblesse de la croissance de la demande intérieure, et donc des importations, surtout depuis 1997.
Le problème est très clairement que l'excédent de la balance courante n'est pas réexporté sous forme de capitaux à long terme (investissement direct ou de portefeuille), ce qui explique l'appréciation chronique du change.
Suisse: l'effet du revenu du capital et des placements des non-résidents
L'économie suisse s'est beaucoup affaiblie à partir de 2001 après une période de croissance assez forte de 1997 à 2000; le recul de l'activité est déclenché par celui des exportations et de l'investissement, ce qui entraîne ensuite l'emploi et la consommation… Dans le même temps, le franc suisse est resté très fort; son taux de change effectif réel s'apprécie de plus de 15% de 2000 au début de 2003, ne recule ensuite que de 4%. Le niveau élevé du franc suisse subsiste, malgré des taux d'intérêt extrêmement bas. Un excédent commercial apparaît en 2001 avec la faiblesse de la demande qui entraîne celle des importations, mais le point remarquable est le niveau de l'excédent courant, dû au revenu du capital détenu à l'étranger. Le niveau élevé du franc suisse en 1995-1996 puis 2002-2003 réduit bien les exportations par rapport au commerce mondial, mais c'est le recul des importations dû à celui de la demande intérieure qui domine, surtout de 2001 à 2003.
Les sorties nettes d'investissement direct et d'investissement de portefeuille de la Suisse sont colossales mais elles reflètent en réalité l'investissement des sommes déposées chez les intermédiaires financiers suisses, en hausse très forte en 1998, puis en 2001; elles atteignent à la fin de 2003 650 milliards de francs. Les périodes d'appréciation du franc suisse sont bien des périodes où la balance des flux de capitaux est positive, comme le montre l'évolution des réserves de change, en hausse de 15 milliards de francs suisses en 2002 et en 2003.
On voit donc, dans le cas de la Suisse, que l'excédent de la balance courante, qui vient des revenus du capital à l'étranger et, dans la période récente, du recul des importations avec la faiblesse de la demande intérieure est aggravé par des placements en Suisse des non-résidents qui conduisent à l'appréciation du franc suisse.
Zone euro: faiblesse des importations, arrêt des investissements aux Etats-Unis
L'affaiblissement de l'économie de la zone euro à partir de 2001, dû d'abord à la chute des exportations et de l'investissement, a coïncidé avec une remontée de l'euro par rapport au dollar (de 0,80 à 1,22). Pourtant, la croissance potentielle est nettement plus forte aux Etats-Unis que dans la zone euro (4% contre 2%), avec des gains de productivité beaucoup plus élevés; les perspectives de croissance pour 2004 sont nettement plus favorables aux Etats-Unis (4% contre 1%); le rendement du capital est encore plus élevé aux Etats-Unis qu'en Europe: les taux d'intérêt à long terme sont semblables, les cours boursiers évoluent parallèlement si on les corrige de l'évolution du taux de change, mais le rendement des fonds propres aux Etats-Unis est plus élevé que dans tous les pays européens (16% contre 12%).
Regardons aussi la balance commerciale et les flux de capitaux de la zone euro. La zone euro a une balance commerciale excédentaire (elle est simplement équilibrée en 2000), une balance courante excédentaire de 1995 à 1998, de nouveau à partir du second semestre 2001. Les excédents extérieurs de la période 2001-2003 viennent un peu des effets décalés de la baisse de l'euro en 1999-2000, qui stimule les exportations en 2001 par rapport au commerce mondial, mais surtout de la faiblesse des importations avec celle de la demande intérieure. Les mouvements nets de capitaux privés (investissement direct et de portefeuille) de la zone euro sont négatifs de 1996 au premier semestre 2001, positifs en moyenne à partir du second semestre 2001 avec l'arrêt des flux d'investissement vers les Etats-Unis.
On a donc bien, dans la zone euro, une situation, de 2001 à 2003, d'excédent courant avec la faiblesse des importations et de la demande intérieure, sans exportations de capitaux. Les cas du Japon, de la Suisse et de la zone euro mettent en avant les mécanismes suivants:
– lorsque la croissance est réduite, la faiblesse de la demande intérieure conduit à un excédent extérieur en faisant reculer les importations;
– si cette situation est fréquente, l'excédent de la balance courante est amplifié par le revenu du capital investi à l'étranger (cas de la Suisse);
– dans le cas des pays étudiés, même avec une croissance faible et des rendements du capital inférieurs à ceux du reste du monde, il n'y a pas de sorties de capitaux suffisantes pour compenser l'excédent courant, soit avec la faible diversification des investisseurs domestiques (Japon), soit avec la compensation des sorties de capitaux excessives antérieures (zone euro), soit avec les placements des non-résidents à la recherche d'une zone refuge (Suisse);
– de ce fait, il y a appréciation du change en croissance faible.