Réinventer la mobilité

L’arrivée d’acteurs comme Uber et Tesla incite à repenser la mobilité. Comment combiner les différents modes de transport? Qu’apporte la numérisation? Dans quelles infrastructures investir? Le Forum des 100 organisé par Le Temps le 24 mai prochain porte sur ces questions. Comme la série d’articles publiés en amont de l’événement.

Programme et inscription: www.forumdes100.ch


Sur le quai de Saône, en plein cœur de Lyon, l’engin intrigue. La capsule à quatre roues avance, fait tinter une sonnette à l’approche d’un cycliste, stoppe net devant une poussette. Repart, s’arrête à côté d’une borne portant le nom de Magellan ou de Charlemagne. Redémarre, à la vitesse vertigineuse d’environ 20 km/h. En cette belle journée de printemps, les passants regardent, interloqués, et montent à bord dès qu’une des quinze places (dont onze assises) se libère. Pour faire un tour. Un vrai manège.

C’est là, dans le quartier entièrement modernisé et ultra-branché de Confluence, sur une distance de 1,3 kilomètre, que Navya teste son navire amiral: le bus 100% électrique sans conducteur. Sous le nom de Navly, il est exploité par Keolis et dessert cinq stations, dont deux portent les noms des deux grandes figures de l’histoire citées plus haut. Il vagabonde jusqu’à la pointe de la presqu’île, à proximité du Musée des Confluences, et revient ensuite en arrière, sans devoir tourner sur route.

Déjà sept, bientôt huit en Suisse

On commence à bien connaître ces véhicules autonomes en Suisse, ce pays étant l’un des principaux clients du constructeur lyonnais. De semblables minibus circulent déjà au cœur de Sion grâce à CarPostal, les Transports publics fribourgeois (TPF) en utilisent deux à Marly, la compagnie Morges-Bière-Cossonay (MBC) en teste également deux depuis un mois à Cossonay, une navette se déplace à Neuhausen (SH), près des chutes du Rhin, et la ligne expérimentale XA à Meyrin, sur le réseau des Transports publics genevois (TPG), sera aussi desservie par un minibus sans conducteur dès que l’Office fédéral des routes (Ofrou) aura délivré les autorisations.

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«Nous avons 65 navettes autonomes en exploitation dans le monde», recense Diego Isaac, directeur marketing et communication de Navya. La jeune entreprise connaît une croissance fulgurante. A sa création, en 2014, elle occupait une dizaine de personnes. Elle en compte désormais 220. La chaîne de production, qui se trouve à Vénissieux, en banlieue lyonnaise, ne cesse de tourner et un second site ouvert à Saline, dans le Michigan, est destiné au marché américain, lui aussi en pleine expansion.

Interférences à gérer

A défaut de conducteur, ces moyens de transport sont équipés de toute une panoplie de capteurs Lidar (qui cartographient les lieux parcourus), de caméras, de balises GPS, d’antennes, d’instruments odométriques (pour mesurer la vitesse des roues). Ces données sont ensuite traitées par des algorithmes qui intègrent les spécificités des lieux parcourus (identification des stations, obstacles à contourner, gestion des horaires, détection des pannes). En Suisse romande, le partenaire de Navya est la start-up BestMile, basée sur le site de l’EPFL.

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Pour l’instant, un opérateur se trouve à bord de chaque voiture, encore au stade expérimental. Il doit être en mesure d’en reprendre le contrôle manuel. Il y a de fréquentes interférences à gérer, comme la perte du signal GPS sous une passerelle ou le redémarrage après un arrêt inopiné. Navya compte sur les expériences faites par les clients pour améliorer les prestations de sa créature à quatre roues. «Leurs retours nous permettent de faire des mises à jour et des adaptations correspondant à leurs besoins», résume Diego Isaac.

Navya est née de la volonté de deux «serial entrepreneurs». Depuis des années, Bruno Bonnell, désormais député macronien à l’Assemblée nationale, et Christophe Sapet jonglent entre des sociétés de jeux vidéo ou d’accès à internet et des fonds d’investissement dans la robotique automobile. En 2014, ils ont racheté une société active dans ce dernier domaine et ont ainsi créé Navya.

Et voici le taxi robotisé

Dans un premier temps, ils se sont concentrés sur un seul modèle de mobilité innovante: le bus autonome. Quatre ans plus tard, ils proposent également un taxi robotisé de six places, qui a été présenté au Salon automobile de Genève en mars. Il fonctionne selon le même mécanisme de base que le minibus. Mais il nourrit des ambitions bien plus grandes. Comme la vitesse. Alors que les navettes, limitées aujourd’hui à 20-25 km/h, n'iront pas au-delà de 45 km/h, les «Autonom Cabs» seront armés pour rouler plus vite. «Nous visons 50 km/h et espérons même atteindre 90 km/h», confie Diego Isaac. Ces taxis connectés proposeront aux usagers un service à la carte. A l’intérieur, un écran tactile doit permettre de régler la facture (voire de la partager entre les occupants) et de commander des services tels qu’une table dans un restaurant, une place de cinéma, une entrée dans un musée ou une pizza. Le smartphone est la clé de tout.

Selon Diego Isaac, les cinq à six premiers «cabs» collectifs devraient circuler sur la voie publique dans des quartiers de Lyon et Paris dès le second semestre de 2018, d’autres étant prévus aux Etats-Unis et en Australie. Là également, un opérateur sera à bord durant la phase d’essai.

Les véhicules autonomes – ils coûtent environ 260 000 euros l’unité – ont éveillé une immense curiosité partout dans le monde, notamment dans les villes confrontées à des surcharges de trafic. Tout n’est pas totalement au point sur le plan technique, mais l’intérêt est évident.