Forward
Faire un pas en avant pour éviter de prendre le «tsunami numérique»: le forum Forward a réuni quelque mille patrons de PME à l’écoute de conseils. Paradoxalement, il faut parfois savoir renoncer à son modèle d’affaires

Même les peaux de phoque et les machines à tricoter vivent leur disruption. A l’occasion du forum Forward, co-organisé jeudi par l'EPFL, Le Temps et PME Magazine, aucun secteur n’a été épargné par les discussions sur les petites révolutions vécues par tous les pans de l’économie.
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Pour Martin Vetterli, qui a souhaité la «bienvenue chez nous, à l’EPFL» aux quelque 1000 patrons de PME, c’est un véritable «tsunami numérique» qui menace les modèles d’affaires des entreprises. A l’exemple de la plateforme Uber, dont la manne, qu’elle soit gagnée sur les taxis ou les livreurs de pizzas, part à 25% vers la Californie. «Un quart du chiffre d’affaires, l’enjeu est là», a martelé le président de l’EPFL. A moins, bien sûr, de savoir prendre la vague.
Penser écosystème, pas gadgets
Car il ne suffit pas de s’équiper en objets high-tech pour amorcer sa transition. «Beaucoup de projets ressemblent à des pièces de puzzle. Or il faut réfléchir à comment les imbriquer entre elles afin d’optimiser l’ensemble de la chaîne logistique», image Florent Décaillet, du cabinet helvético-français MDL Finance, qui accompagne des hôpitaux universitaires et des cliniques dans l’acquisition d’équipements médicaux et biotechnologiques.
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A cet égard, les chiffres présentés par le responsable de l’innovation de l’EPFL, Marc Gruber, sont édifiants. En cinq ans, le prix des nouvelles technologies a été divisé par 250 pour les capteurs et, sur onze ans, par 100 000 pour la biotech. Ils sont de plus en plus accessibles aux PME. Il est donc primordial de rester à jour afin de maintenir l’attractivité de son entreprise et la pertinence de son modèle d’affaires. «Mais, au vu de la concurrence régnant en Suisse, il faut aussi pouvoir choisir deux ou trois lignes de force», résume Florent Décaillet. Autrement dit: apprendre à renoncer.
Se réinventer
«On a construit une maison magnifique. Puis on l’a détruite, juste avant que le marché ne le fasse.» Autrefois actif en France, Suisse et Belgique, Dvdfly n’est plus. Mais Eric Grignon est loin de s’en plaindre, lui qui a vécu la transformation de la société de location de DVD en service de streaming. C’était pourtant en 2009, «l’apogée des DVD, l’année où l’on en vendait le plus dans le monde», souligne-t-il. La nouvelle société Hollystar sera vendue en 2017 au groupe Sky, propriété de l’homme d’affaires Rupert Murdoch.
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L’entreprise Steiger a également dû se réinventer. Afin de continuer aujourd’hui encore à produire des machines à tricoter en Valais. Alors que l’industrie textile transfère ses activités en Chine dans les années 90, la société choisit de «pérenniser le site suisse» en diversifiant sa gamme de services et en le faisant constamment évoluer pour contrer le plagiat, selon son directeur Pierre-Yves Bonvin. Steiger réalise l’essentiel de ses revenus dans le secteur médical où les marges sont également plus importantes. «Nos machines sont capables de scanner le membre d’une personne brûlée pour produire en 24 heures des habits de compression sur mesure.»
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Mais tous les secteurs doivent-ils réellement être numérisés? Ramzi Bouzerda a eu l’idée de lancer des robinets connectés alors qu’il remplissait le biberon de son fils. Mais le concept a passablement muté depuis le premier «eurêka». Les capteurs de la société lausannoise Droople sont pour l’heure destinés aux Services industriels genevois, avec qui il mène un projet pilote. Placés à l’entrée des bâtiments et dans les robinets des consommateurs finaux, ils doivent permettre de détecter les micro-fuites d’eau et de procéder à des maintenances préventives.
Inculquer une culture de l’innovation
Parmi les patrons de PME, beaucoup ont insisté sur la nécessité de savoir inculquer une culture d’innovation à bord de son entreprise. Et dans le rôle de capitaine, la conseillère d’Etat vaudoise Nuria Gorrite a, elle, comparé le virage numérique à la navigation en mer agitée où il reste primordial de pouvoir compter sur ses phares, une carte précise et une bonne boussole ou un GPS. «C’est le rôle de l’Etat que de s’assurer que toutes et tous peuvent naviguer», a-t-elle défendu en référence aux programmes d’éducation numérique de son canton.
La présidente du Conseil d’Etat vaudois a aussi rappelé le besoin de garder un esprit critique. Et dans cette optique, elle a critiqué «l’absence de réflexion de la Confédération» concernant la protection des données de ses citoyens. «On a délégué le e-vote à La Poste, qui l’a elle-même sous-traité à une société espagnole qui ne crypte pas les données.» Il n’y a pas que les PME qui peuvent rater leur transition numérique.
Collaboration Ghislaine Bloch