L’affaire remonte à près de dix ans: à l’époque, en 2011, Yasmine Motarjemi portait devant la justice le harcèlement subi alors qu’elle était chargée de la sécurité sanitaire des aliments chez Nestlé. Si le mobbing avait bien été reconnu en première instance en 2018, le groupe n’en avait pas été tenu pour responsable. Saisie par l’ex-cadre, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois vient d’en décider autrement.

Dans un arrêt rendu le 7 janvier et dont Le Temps a pu consulter des extraits, elle relève que la multinationale n’a pas pris les mesures adéquates pour protéger celle qui était son employée entre 2000 et 2010. Cela constitue une violation du droit suisse du travail, commente l’avocat de Yasmine Motarjemi, Bernard Katz, citant l’article 328 du Code des obligations, «lequel instaure la protection de la personnalité du travailleur et le respect auquel il a droit ainsi que les égards voulus pour sa santé».

«Complices de ce système»

Dans leur analyse, les juges soulignent «le caractère sournois du harcèlement», au vu des conséquences sur l’état de santé de l’ex-collaboratrice, qui a aujourd’hui atteint l’âge de la retraite. «On comprend des témoignages que les employés et la direction étaient complices de ce système, ou sous l’emprise de la hiérarchie, et n’ont jamais cherché à mettre au jour cette situation dysfonctionnelle», contribuant à violer les règlements internes de l’entreprise, écrivent-ils.

Lire également La lourde charge d’une ancienne employée contre Nestlé

Hormis des propositions de transferts à l’interne, qualifiées d'«inconsistantes», voire de «dévalorisantes» par les juges, le groupe n’a rien entrepris pour clarifier la situation. L’arrêt pointe enfin l’absence d’enquête de la part de Nestlé, en dépit des demandes d’audit répétées de Yasmine Motarjemi sur le fonctionnement de son département pour la sécurité des aliments. Et invalide au passage une enquête sur le harcèlement mandatée à l’externe par la multinationale, qui avait conclu à l’absence de mobbing.

Pas de commentaires pour le moment

L’appel a ainsi été partiellement admis: «Le principe de la violation de l’article 328 du Code des obligations est acquis, de même que l’existence d’un lien de causalité, ainsi que la faute de Nestlé», se félicite Bernard Katz. De même que le principe de l’indemnisation, même si «sa quotité» (le montant de la quote-part) doit faire l’objet d’un examen approfondi par les premiers juges. Yasmine Motarjemi réclame un franc symbolique pour tort moral, plus le paiement de 2,1 millions de francs pour ses frais et la perte de gain.

Contacté, Nestlé n’a pas souhaité réagir. «Nous avons reçu la décision de la Cour civile d’appel dont nous analysons les détails. Nous ne pouvons faire d’autres commentaires pour le moment», écrit un porte-parole par courrier électronique. Le groupe a trente jours pour faire recours auprès du Tribunal fédéral.

Pour Yasmine Motarjemi, «c’est la confirmation de tout ce que je dis depuis des années», réagit-elle par téléphone. Débauchée par Nestlé auprès de l’OMS en 2000, elle reprochait à son supérieur hiérarchique, arrivé en 2006, sa gestion de la sécurité des aliments et les entraves qu’il mettait à son travail. Elle a finalement été licenciée en 2010. Ce harcèlement, selon elle, «visait à faire taire des dysfonctionnements dans la politique interne de sécurité des aliments».

A ce sujet Le casse-tête de Nestlé face à une employée réfractaire

Des accusations que Nestlé avait réfutées en bloc en première instance, estimant n’avoir rien à se reprocher. Quatre dirigeants du groupe avaient comparu à la barre pour tenir ce même discours: Paul Bulcke, directeur général de Nestlé au moment des faits, président du groupe aujourd’hui, Jean-Marc Duvoisin, ex-chef des ressources humaines, puis patron de Nespresso (vice-président des unités stratégiques du groupe depuis le 1er janvier), Francisco Castañer, qui occupait jusqu’en 2010 des responsabilités administratives, et José Lopez, ancien directeur opérationnel.

La décision rendue en appel ne dit rien de la gestion de la sécurité des aliments, mise en cause par l’ex-cadre. Selon elle, des crises auraient pu être évitées si elle avait pu faire correctement son travail: notamment l’affaire de la mélamine et des excès d’iode dans des préparations infantiles en Chine, ainsi que «les étouffements de bébés avec certains produits en France».

L’arrêt ouvre-t-il la voie à de nouvelles investigations sur ces manquements? Contactées, les autorités sanitaires européenne et suisse n’ont pas été en mesure de commenter en l’état.