De Netflix à Instagram, des utilisateurs captifs obligés de payer pour des services jusque-là gratuits
Technologie
AbonnéANALYSE. Alors que Netflix exige désormais 5,90 francs pour partager son compte, Google, Twitter ou encore Instagram forcent de nombreux abonnés à souscrire des abonnements

C’est l’épilogue d’un très long feuilleton. Netflix a annoncé, dans la nuit de mardi à mercredi, la fin du partage gratuit de comptes entre amis ou membres d’une même famille. Il faudra désormais opter pour un abonnement supplémentaire pour que d’autres utilisent son identifiant et son mot de passe. Ce changement stratégique est à placer dans un contexte global. Progressivement, les géants du streaming accroissent le prix de leurs abonnements, alors que les réseaux sociaux se lancent dans les services payants. Et malgré les apparences, les utilisateurs, en partie captifs, n’ont pas toujours le choix.
Le cas de Netflix est un peu particulier. Depuis des années, les responsables du service de streaming, comptant 232 millions d’abonnés, avertissent qu’ils mettront fin au partage de compte. Jusqu’à présent, ils n’avaient pas osé franchir le pas. Et pourtant, ils estimaient à plus de 100 millions le nombre de personnes, ou de ménages, bénéficiant ainsi de séances vidéo gratuites. Désormais, il faudra payer 5,90 francs en Suisse (le prix diffère dans chaque pays) pour partager ses identifiants.
Apple aussi concerné
En soi, rien de choquant, Netflix n’ayant pas vocation à être gratuit. Cette décision s’inscrit dans un lent mouvement de hausse des tarifs. Ces quatre dernières années, calculait récemment le comparateur HelloSafe, le prix de l’abonnement standard a explosé de 25%, pour se situer aujourd’hui à 18,90 francs par mois. L’offre d’entrée de gamme, elle, n’a pas bougé à 11,90 francs. Dans le domaine du streaming audio, Apple avait lui aussi augmenté le prix de ses abonnements en octobre 2022, les offres individuelles (13,90 francs) et famille (21,90) augmentant respectivement de 1 et 2 francs. Leader du marché, le suédois Spotify songe à augmenter ses tarifs cette année.
Certes, l’utilisateur n’est pas totalement captif de ces services, pouvant passer de Netflix à Amazon Prime pour la vidéo, ou de Spotify à Deezer pour la musique. Mais les catalogues ne sont pas identiques, et les habitudes – comme les playlists et les téléchargements – sont des freins pour changer de prestataire.
Revirement complet
Sur le marché des réseaux sociaux, changer de service est autrement plus compliqué, de par leur nature, leur audience et les fonctions proposées. Et ces derniers mois, la plupart de ces plateformes ont lancé des offres payantes. Les responsables d’Instagram, Snapchat ou Twitter ont tous avancé des raisons différentes pour justifier les nouvelles offres: accroissement de la sécurité, authentification poussée des utilisateurs, nouvelles fonctions, quête de revenus… «Quelles que soient leurs intentions, les utilisateurs sont désormais confrontés à des frais d’abonnement pour des applications de médias sociaux qu’ils avaient pris l’habitude d’utiliser gratuitement», notaient récemment deux professeurs dans la Harvard Business Revue.
Le cas le plus emblématique est celui de Facebook et Instagram, deux plateformes du groupe Meta. En février, la structure dirigée par Mark Zuckerberg lançait l’option Meta Verified, coûtant entre 11,99 et 14,99 dollars mensuels aux Etats-Unis. Pour quels services? L’obtention d’un badge après un processus de vérification, la sécurisation de son compte «de manière proactive» (sans que l’on sache ce que cela veut dire) et des stickers gratuits. Meta y ajoute ce service: «Obtenez l’aide d’une personne réelle sur les questions courantes, relatives aux comptes, qui vous intéressent.» Or ces informations peuvent décemment être attendues, de la part des utilisateurs, dans les versions gratuites de Facebook et Instagram. Des versions qui, évidemment, rapportent des milliards à Meta via l’affichage de publicités.
Acceptation en théorie
Un autre point est intéressant. Si Meta Verified n’est pas encore disponible, on en connaît déjà le prix (12 francs) et sur cette page, la société précise que l’abonnement donne aussi droit à «une couverture augmentée», la société promettant ceci: «Gagnez en visibilité dans les commentaires et les recommandations.» Twitter, qui propose l’abonnement Blue pour environ 7 francs par mois (cela dépend de la plateforme utilisée pour le paiement), fait la même chose: il assure que son option permet d’avoir «des classements prioritaires dans les conversations et la recherche». D’où une pression importante pour les utilisateurs: payer pour que leurs publications soient visibles… mais sans aucune garantie concrète que cela soit le cas.
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Les internautes acceptent-ils ce qui peut s’apparenter à du chantage? Difficile à dire. Snapchat avait lancé une offre payante, offrant davantage de fonctions, en juin 2022, pour environ 4 francs. Trois mois plus tard, le service comptait plus d’un million d’abonnés, sur une base de plus de 360 millions d’utilisateurs. On ne connaît pas le nombre de souscripteurs aux offres payantes de Meta et Twitter. Mais le potentiel pourrait être élevé. L’article précité de la Harvard Business Revue relatait un sondage à ce sujet, les utilisateurs devant dire si les offres payantes les séduisaient ou non, sur une échelle de 1 à 10. Résultat: un score moyen aux alentours des 7,3, montrant une volonté – du moins en théorie – importante de payer.
Le précédent Google
Notons enfin que, dans ce large mouvement, Google s’était distingué en 2021. Alors qu’il avait promis que son service de stockage en ligne de photos serait toujours gratuit en illimité, le géant de la tech avait ensuite imposé une limite, forçant de nombreux utilisateurs captifs à payer pour continuer à sauvegarder leurs clichés.