C’est une société familiale comme il en existe des milliers d’autres. Elle niche au sixième étage d’un bâtiment anonyme du centre-ville genevois, entre diverses petites sociétés financières, un bureau de placement, un salon de coiffure ou un magasin de photographie. Sucafina, une PME familiale qui négocie 4% des exportations mondiales de café.

Sucafina signifiait à l’origine «sucre, café, finance». Le marché du sucre ayant été abandonné très tôt – et l’odeur de l’argent étant difficile à percevoir –, ce sont surtout des arômes de café qui flottent dans les locaux de l’entreprise. Car s’il y a effectivement des salles bardées d’écrans et des télévisions branchées sur les chaînes américaines d’information en continu, les locaux de Sucafina contiennent également une table circulaire permettant de goûter le café. Et un petit torréfacteur entouré de dizaines de sacs de variétés diverses.

«Plus que le seul négoce»

La rencontre se fera dans la salle de conférences dont la baie vitrée plonge sur le Rhône. Et si lui se contente d’une banale tasse pour boire son café, le patron de la société Nicolas Tamari invite ses hôtes à déguster leur expresso dans des verres transparents, étudiés pour doper les saveurs du café (et offerts par Nespresso, l’un de ses clients).

Il se lance d’emblée dans un long récit de l’histoire du café: de la libéralisation du marché à la fin des années 1980 aux impératifs d’investissement dans des infrastructures (la société possède aujourd’hui dix usines dans le monde) en passant par le cheminement des fruits des caféiers. «Quand il parle café, il est tellement passionné qu’il en devient intarissable», souligne l’un de ses partenaires en affaires. Aujourd’hui Suisse, né au Liban, Nicolas Tamari (45 ans) tient à préciser qu’il est d’origine palestinienne «pour soutenir les immigrés, leur montrer qu’on peut partir de Palestine et finir à la tête d’une entreprise en Suisse».

Nicolas Tamari ne fait pas partie de ces représentants du secteur qui rechignent à parler de l’industrie. Il faut dire qu’il est également vice-président du lobby du secteur (STSA), représente ce dernier à la Chambre de commerce et d’industrie de Genève et préside la Swiss Coffee Trade Association. Un trader qui connaît les médias.

«Je ne suis pas un trader, mais un marchand de café», précise Nicolas Tamari. La différence? Un trader achète quelque chose qu’il revend sans le voir, alors que «Sucafina, c’est beaucoup plus que le seul négoce. Nous avons des usines, des plantations, etc.». Autre différence: «Les matières premières agricoles sont les parents pauvres de l’industrie. Le salaire et les bonus y sont peu élevés car notre chiffre d’affaires et notre rentabilité sont modestes.» Des chiffres que la société ne révèle pas.

«Sévère dégradation»

Sur les 600 collaborateurs que compte l’entreprise, moins de 5% sont effectivement des traders. Une trentaine d’employés travaillent à Genève – ce qui fait de Sucafina une des «grandes» sociétés de négoce de la région. «La grande majorité de nos employés sont plutôt basés dans les pays de production», essentiellement en Afrique de l’Est (Burundi, Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Kenya).

Si le père de Nicolas Tamari a choisi de s’établir en Suisse à la fin des années 1970, c’est notamment pour sa position de plaque tournante pour les matières premières. Et sa stabilité. «Il y a déjà tellement d’instabilité dans les pays producteurs que l’endroit où est installé mon quartier général doit être parfaitement stable», soutient Nicolas Tamari en sirotant son café.

Ces dernières années, la Suisse connaît une «sévère dégradation» de ses conditions-cadres, regrette-t-il. «Il n’y a plus de visibilité à moyen et long terme… Tant sur la fiscalité des entreprises que sur la possibilité d’embaucher des travailleurs étrangers, les coûts opérationnels (force du franc), les rumeurs sur la régulation des sociétés de trading…» De plus, l’industrie doit composer avec un resserrement du crédit. Dans la foulée de l’amende de 8,9 milliards de dollars infligée par les Américains à BNP Paribas, certaines banques se sont distanciées des entreprises de trading.

Malgré cela, Sucafina veut grandir. Et s’intégrer verticalement. L’objectif est d’acheter un torréfacteur. «Nous avons des pistes dans le sud de l’Europe. Avec le franc fort, c’est le moment d’acheter. Et nous prévoyons de nous lancer en Ethiopie.» En revanche, la base actionnariale de la société, «strictement familiale à l’exception de quelques collaborateurs», n’est pas appelée à changer.

Les traditions non plus: à 92 ans, le père de Nicolas Tamari – fondateur de l’entreprise – continue de venir tous les jours au bureau.