Collectivités
Le professeur à l’Idheap et expert en finances publiques ne maîtrise pas seulement la gestion des comptes des collectivités, mais aussi leur présentation. Un exercice plus politique qu’il n’y paraît

Nils Soguel s’appuie sur Richard Musgrave. Dans son livre publié en août, Comprendre et gérer les finances de ma collectivité(Editions EPFL Press), le professeur de finances publiques cite l’économiste américain (1910-2007), célèbre pour avoir appliqué le raisonnement macroéconomique à la compréhension du fonctionnement de l’Etat. Richard Musgrave avait pointé trois problèmes que l’économie de marché crée ou, en tout cas, ne résout pas. Et dont l’Etat doit s’occuper: l’allocation, la redistribution et la stabilisation des ressources. «Il n’y a pas un seul rapport ou un seul travail où je n’insiste pas sur l’attention qu’il faut porter à cette question. Cela revient à se demander: «Pourquoi l’Etat intervient?»
«J'ai toujours refusé les demandes des partis»
Assis à son bureau de l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap), Nils Soguel est tiré à quatre épingles. Affable mais concentré, il ferme les yeux lorsqu’il veut mieux structurer sa pensée. Il est un homme de calcul, au sens rigoureux du terme. Du pragmatisme et de la neutralité. Pas question par exemple, pour cet expert en économie et en comptabilité publiques, de pencher ouvertement à droite ou à gauche.
C’est qu’en plus des cours qu’il prodigue sur le campus lausannois, il est régulièrement mandaté pour son expertise. Là pour un diagnostic sur la situation financière d’une collectivité, ici pour une réforme d’une péréquation intercommunale. «Je n’ai pas de religion, j’ai d’ailleurs toujours refusé les demandes des partis politiques», répète le Neuchâtelois qui, au fil des ans, s’est imposé comme l’un des experts les plus réputés du pays en matière de deniers publics.
Je ne donne pas de recettes miracles pour s’en sortir. Mais il y a un chapitre sur la dynamique de l’endettement et un autre qui offre des pistes pour améliorer la situation
«Son penchant politique? Je serais bien incapable de vous répondre», concède Charles Juillard. L’ancien ministre jurassien des Finances jusqu’en 2019, désormais conseiller aux Etats, a travaillé à deux occasions avec Nils Soguel. «Il est mandaté pour émettre un avis sur le bien-fondé, ou non, de ce qu’il analyse. Il va vous prévenir des risques éventuels, mais il le fait sans aucune connotation politique.» S’offrir son expertise, complète Charles Juillard, c’est aussi une preuve que l’argent dépensé ne l’est pas pour rien. «L’Idheap est une référence et Nils Soguel est une marque de fabrique.»
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Partisan, non, fin connaisseur des rouages politiques, oui. Economiste de formation, Nils Soguel préside depuis 2008 le Conseil suisse de présentation des comptes publics. Une organisation qui promeut «une présentation uniformisée, comparable et transparente des états financiers des collectivités publiques suisses», selon son site internet.
Rendre la mariée moins belle
Dans son livre, un chapitre en particulier aborde ce mélange entre intérêts politiques et comptes publics. Il est sobrement intitulé «Déceler la tactique politique en matière de présentation des comptes». Dans la gestion des finances publiques, il y a au moins deux exercices de tactique politique, résume Nils Soguel. Le premier, c’est la présentation du budget, où les élus qui en sont responsables ont quelque chose à vendre – à faire accepter. Le second, c’est la présentation des comptes. Dans l’une ou l’autre de ces épreuves, il existe des opérations comptables, bel et bien licites, qui permettent de rendre la mariée… moins belle. Car la manœuvre consiste généralement à modérer les bonnes nouvelles, et donc à limiter d’éventuelles revendications sur une hausse des dépenses et/ou une baisse des impôts.
Au fil des pages, Nils Soguel couvre tous les enjeux de la gestion comptable d’une collectivité. En cette année 2020 marquée par le coronavirus, rarement les finances publiques n’auront été autant mises à contribution. Jamais les cantons et les communes n’auront autant dû piocher dans leur imagination – et dans leurs réserves, s’ils en ont – pour soutenir leurs ménages, leurs commerces et leurs entreprises. «Je ne donne pas de recettes miracles pour s’en sortir. Mais il y a un chapitre sur la dynamique de l’endettement et un autre qui offre des pistes pour améliorer la situation.»
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Cette publication semble tomber à pic, mais elle n’est pas opportuniste. Il y a longtemps qu’il a décelé ce «déficit de connaissances» chez les politiciens, responsables administratifs, journalistes ou citoyens. Mais c’est en 2018 qu’il se lance véritablement dans la rédaction et la mise au net des fichiers Excel permettant d’appliquer les outils qu’il propose. C’est aussi grâce à un fichier Excel qu’il peut affirmer qu’il a consacré 950 heures à cette phase d’écriture
Cet ouvrage, «c’est un peu le condensé de tout ce que j’ai accumulé, appris, enseigné au cours de ma carrière». Un condensé qui s’étale tout de même sur plus de 340 pages. Il faut dire que Nils Soguel est dans le métier depuis longtemps. Il fête ses 25 ans d’activité à l’Idheap, mais avait déjà choisi cette voie avant 1995. Son père banquier, d’abord, lui a donné le goût du chiffre. Lorsqu’il termine son doctorat à Neuchâtel, il part pour Londres et le University College où il sera maître de conférences, avant de rejoindre l’Idheap. Son travail, c’est une passion. La Suisse, avec son fédéralisme, ses cantons et ses communes souverains, son hétérogénéité, «est un formidable laboratoire de recherche», insiste-t-il lorsqu’on lui demande si la rigueur financière et budgétaire tout helvétique n’est pas un peu ennuyeuse, à la longue.
Le privé, pas une tentation
L’Idheap, il en sera bientôt le directeur, en 2021. Cela fera alors quarante ans que l’institut forme les cadres de l’administration publique. Un anniversaire qui le rend fier. C’est une certitude, Nils Soguel se sent bien là où il est. Jamais, assure-t-il, il n’a été tenté par le secteur privé. «Ce n’est pas un démon. Mais ce que l’on ne réalise pas, lorsqu’on commence à apprendre l’économie à l’école, c’est que, même dans un système libéral, l’intervention de l’Etat a sa place. Elle existe, elle doit se faire et bien se faire.» Richard Musgrave, encore.
Profil
1963 Naissance au Val-de-Ruz (Neuchâtel).
1993 Obtient un doctorat en sciences économiques à l’Université de Neuchâtel et rejoint le University College de Londres comme maître de conférences.
1995 Est nommé professeur à l’Idheap, titulaire de la chaire de finances publiques.
1999 Lance le Comparatif annuel des finances cantonales et communales.
2008 Devient président du Conseil suisse de présentation des comptes publics.
2021 Deviendra directeur de l’Idheap.